Lettre de Philippe à Denise, Nantes mercredi 19-11-1930
Moi aussi je soupçonnais votre mère d’intercepter notre correspondance et je suis allé plus loin, car dans ma deuxième lettre, que je vous avais envoyée lundi matin, que vous auriez donc du recevoir mardi matin, je vous le disais : si Madame votre mère ouvre ma lettre ?... il y a de fortes chances pour que vous le sachiez. En plus de cela, je crois m’être laissé aller à évoquer nos promenades solitaires, et aussi nos baisers… et je ne sais si cela lui fera un plaisir « hénaurme[1] ».
Julie, la mère de Denise, sur la promenade à Royans
Ne serait-il pas à craindre que vos parents ne veuillent pas vous laisser venir seule à Royan pour Pâques ? Ils s’estimeraient sans doute capables de nous empêcher de nous revoir. Qu’en pensez-vous ?
Je suis tout à fait persuadé que vous avez bien fait de ne pas me renseigner sur la vieille demoiselle charitable aux renseignements officieux parce que je crois qu’elle recevrait une lettre de moi en attendant que j’aille lui dire ses vérités –ce qui n’arrangerait pas les choses. Et je suis en train de me demander comment nous pourrions nous y prendre tous deux pour ramener vos parents à de meilleurs sentiments. La poste restante[2], c’est très bien, seulement quand nous voudrons nous revoir, il faudra presque prendre « des manteaux couleur de murailles et de grands chapeaux dont les larges bords rabattus cacheront nos visages ».
[1] Le dictionnaire Le Grand Robert de la langue française à l’article « énorme » mentionne ce qui suit quant à l’adjectif hénaurme : « “Petrus Borel, qui est hénaurme.” C'est dans cet emploi que Flaubert utilise la graphie fantaisiste hénaurme, souvent reprise depuis.
[2] Pour le moment, Philippe a recours à la poste restante pour envoyer ses lettres à Denise (ce qui n’est pas le cas de Denise, qui écrit au domicile des parents de Philippe à Royan). NDLR