Lettre de Philippe à Denise, Nantes samedi 11-04-1931

Je suis triste de vous avoir quittée.

Le matin est clair et le temps, très beau. C’est comme pour notre dernière promenade jeudi matin.

D’autres, avant nous, se sont déjà grisés de se voir reflétés dans les yeux aimés, d’autres le seront après nous. Tous ceux qui nous ont précédés, le monde les a ignorés, car ce ne sont pas les personnages de romans, mais ils ont cru, et c’était vrai, que leur amour était le plus beau de tous. Les jours passés, Denise, furent très beaux, ceux à venir le seront encore plus. Je serai reçu parce que je le veux, parce que vous êtes mon talisman.

Dimanche matin (12 avril)

Assez loin, un joueur de piston égrène ses variantes langoureuses, ma chambre, les volets tirés, où flotte un parfum d’ambre brulé, est pleine de vous.

 "un joueur de piston égrène ses variantes langoureuses..." ou était-ce un disque de Glenn Miller (1904-1944) qui jouait dans le voisinage?

Vous êtes à Royan, encore –à la messe sans doute, qui va bientôt finir. Irez-vous ensuite au casino ? rentrerez-vous à la maison, j’ignore, et ma pensée a peur de vous perdre.

  

"Vous êtes à Royan, encore –à la messe sans doute, qui va bientôt finir. Irez-vous ensuite au casino ?" Les deux monuments disparurent le 5 janvier 1945 dans le grand bombardement de la ville.

Pourquoi faut-il abandonner ses rêves ? Pourquoi faut-il vivre une vie qui ne nous apporte aucune tristesse, aucune joie lorsqu’on sait où est son bonheur ?

 Ces trois brins de myosotis que j’avais cueillis pour vous lors de notre dernière promenade, se sont desséchés et j’ai peur qu’ils aient perdu l’odeur et la caresse de vos mains. Est-ce que l’amour subit le sort de ces vieux flacons de parfum que l’on retrouve oubliés au fond d’une armoire ? Jadis, le parfum brillait dans le cristal, à présent, il ne reste plus que de longues trainées jaunâtres…

  un brin de myosotis, qu'on appelle également "forget-me-not"...

Je viens de relire ma lettre : je divague beaucoup trop. Ce n’est pas de ma faute. Mais si cette lettre ne vous plaît pas, pardonnez-la à votre                                    Phil.