Lettre de Denise à Philippe, Paris 7 juin 1931

Je vous envoie une autre édition de la photo de la Coubre ainsi que la pellicule. J’ai remarqué qu’elle était beaucoup mieux à l’envers par transparence qu’à l’endroit ! Ce n’est pas le photographe qui est un âne, mais Simone qui a une affection particulière pour le papier contrasté et en commande constamment.

Etes-vous toujours décidé à faire du tennis à Royan cet été ? Faites-en, je vous en  prie, comme cela, nous serons ensemble toute la journée, et puis ça me réconciliera peut-être avec le tennis, pour le moment, je le déteste, je joue affreusement mal, je me fais battre partout et j’ai grande envie en octobre de plaquer tous mes clubs.

Allez-vous toujours à Royan en juillet ? Pourquoi ne commenceriez-vous pas votre entraînement intensif à ce moment-là ? Puisqu’il vous faut, paraît-il, quinze jours pour savoir jouer, je préfère que vous preniez ces quinze jours avant mon arrivée. Vous passez votre examen à partir de lundi prochain, m’avez-vous dit. Je vous promets de penser à vous très fort toute cette journée.

Ne vous excusez pas en disant que vos lettres sont monotones. Je les aime telles qu’elles sont –même avec les fautes d’orthographe. Du reste, je dois vous rassurer sur ce point, il y en a beaucoup moins !

Il y a en ce moment à Paris un tas d’expositions très intéressantes et je regrette très fort que vous ne soyez pas à côté de moi quand je les visite. Je vous fais grâce de l’Exposition Coloniale[1], du reste je lui en veux de nous avoir infligé d’une invasion de provinciaux –race pour laquelle je n’ai qu’une médiocre sympathie, les femmes en robe claire avec des bas foncés et des manches courtes qui découvrent leurs bras gras et rouges, les hommes en chapeaux de paille, avec un parapluie, et les gosses qui suivent en geignant parce qu’ils sont fatigués et qu’ils ont trop chaud.

Mais il y a tout de même pas que des provinciaux à cette pauvre exposition, deux ou trois pavillons ne sont pas mal : le Temple d’Angkor, les bâtiments de l’A.O.F. et les Indes néerlandaises. A l’intérieur, les objets exposés sont souvent sans intérêt, j’ai seulement vu des pièces d’argenterie, aux Indes françaises, d’un dessin très joli et très pur.

Je dois vous avouer que j’ai eu beaucoup de succès parmi les nègres de l’A.O.F. Je ne sais pas si c’est la blondeur de mes cheveux –je n’ose parler de la blancheur de ma peau, passée à l’état de souvenir- mais j’ai du fuir, épouvantée, avec une de mes amies, devant deux tirailleurs sénégalais qui nous faisaient des avances manifestes !

         

Exposition Coloniale Internationale, Paris 1931, avenue des Colonies Françaises               Afrique du Nord

 

Afrique du Nord                                                       Indochine

      

Indochine

     

 Indochine

         

 Les gravures de l'Ennedi (Tchad)                                                   Maroc

     

Maroc                                           Soudan français (Mali)

    

Tonkin                                                      Tunisie

Pour varier, j’ai été visiter une exposition des dessins de Fragonard, qui avait lieu dans le charmant hôtel Second Empire qui appartint jadis au prince de Sagan. Ça, c’était délicieux. Croiriez-vous que je n’avais rien vu jamais, de Fragonard, que j’ignorais comme beaucoup d’autres peintres français du reste. C’est ce jour-là surtout que j’ai regretté votre absence.

Je vais aussi aller à une exposition d’Art Byzantin qui est très intéressante, paraît-il, et après cela, je pourrai sûrement écrire un livre aussi documenté et aussi endormant que ceux que j’avais emportés pour Pâques, avec la très louable intention de les lire.

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[1] 6 mai 1931 : inauguration au bois de Vincennes de l’Exposition Coloniale