Lettre de Denise à Philippe, Paris, 12 juin 1931

Je vous réponds tout de suite pour que vous ayez ma lettre avant votre examen. Quand connaîtrez-vous le résultat ? Vous me le ferez savoir immédiatement, n’est-ce pas ?

Vous avez de la chance d’être à Royan bientôt. Ici, il fait très chaud et je m’ennuie passablement, mais je prévois que je m’ennuierai bien davantage quand je saurai que vous êtes là-bas où je voudrais être avec vous. Je ne sais encore ce que nous ferons, ça dépendra de Simone[1] ; si elle est reçue, elle commencera sans doute son stage de pharmacie et restera alors jusqu’au 15 août ici ; moi, de toute façon, je quitterai Paris à la fin de juillet. Je pourrai peut-être tâcher de précéder ma famille à Royan, si vous y êtes, mais je crois qu’il y aura du tirage[2] !

   

1931, Simone passe son bac Philo et attend les résultats avec anxiété

Ça m’est égal de sortir avec les mêmes têtes que l’année dernière, pour ce que nous nous occupons d’eux, les pauvres ! Seulement, vous feriez bien d’y adjoindre Louis Audebert, ça a l’air de marcher avec Simone, ils s’écrivent toutes les semaines !

Je n’ai pas vu le Pavillon de la Marine Marchande à l’Exposition. J’ignorais du reste son existence, mais la prochaine fois, je vous promets de le chercher et de le visiter.

Faudra-t-il vous écrire à Royan la semaine prochaine ? J’espère bien que vous ne vous laisserez pas voler vos pantalons, cette année, ou alors, moi, qu’est-ce que je pourrai bien me laisser voler pour me venger ?

Je n’ai pas trouvé la photo dont vous me parlez, je pense l’avoir déchirée en même temps que l’enveloppe.

Signé Denyse[3]

---

[1] Simone, sœur cadette de Denise,  est de 5 ans plus jeune. En 1931, elle avait  17 ans et passait son bachot. On constate, à travers les lettres de Denise, une certaine jalousie vis-à-vis de sa sœur ; cette jalousie peut s’expliquer de plusieurs façons : cinq années les séparent et cela suffit à changer le regard porté sur le cursus scolaire des filles . Denise, née en 1909,  a obtenu son certificat d’études primaires, diplôme féminin quasi ultime, à une époque où les jeunes filles poursuivant leurs études jusqu’au baccalauréat, étaient extrêmement rares, leur destinée étant toute tracée, être une bonne épouse, une bonne ménagère, une bonne mère. A partir de 1925, a été décrétée l'identité des programmes et du baccalauréat pour les enseignements secondaires féminin et masculin.  Simone fait partie de cette génération. La seconde raison de la jalousie de Denise est de nature plus psychologique : elle reproche à sa sœur son indolence, et trouve injuste qu’elle réussisse sans effort particulier. Sur le sujet, se reporter à l’intéressant article d’Evelyne Héry, « Quand le baccalauréat devient mixte » (Clio. Femmes, Genre, Histoire, No. 18, COÉDUCATION ET MIXITÉ-2003, pp. 77-90)

[2] Les parents de Denise, surtout Julie, sa mère,  voient d’un très mauvais œil le début de cette idylle entre elle et Philippe.

[3] Pendant un certain temps, Denise va signer Denyse