Lettre de Philippe à Denise, Royan 05-08-1931
« L’horrible papier[1] » importe peu puisque c’est votre écriture que j’y trouve et votre main qui l’a touché. Pardon si ma lettre n’était pas encore celle que vous attendiez mais pourtant, il n’y a rien qui puisse m’éloigner de vous. Peut-être y avait-il un reflet persistant de mes pensées très absurdes dans ma dernière lettre ? Si, ma très chère Denyse, j’ai confiance en vous plus que jamais.
Il est tard et les bruits qui montent le soir de la promenade jusqu’à ma chambre se sont éteints. Je suis seul avec vous. Votre portrait me sourit tout près, en face de moi sur mon bureau. Et je voudrais que vous sortiez du cadre et apparaissiez réelle devant moi. A votre sourire que la photo a figé, je prête tous les sentiments qui me viennent à l’esprit : après avoir relu une de vos lettres, très douce, très aimante, ce sourire m’apparaît plein de tendresse. Mais si le facteur a passé sans m’apporter de missive, alors je crois discerner une pointe d’ironie aux coins des lèvres et des yeux… ou je nous revois sur la Grande Conche, revenant dans le soir de septembre qui descend, ou encore à l’endroit où je vous ai tenue dans mes bras la première fois, comprenant que je vous aimais, sur la pointe des rochers de Pontaillac, après dîner, tandis que Simone et Pierrette[2], emmitouflées de manteaux, pataugeaient dans des flaques d’eau montante. Encore et toujours d’autres souvenirs me reviennent en mémoire.
Philippe rêvassant sur la plage, croquis de Denise
[1] Denise s’est très certainement excusée dans sa dernière lettre (que je n’ai pas retrouvée) d’un vilain papier à lettre remplaçant le précédent, qui était bleu.
[2] Pierrette Henry, amie d’enfance de Denise lorsque celle-ci allait passer ses vacances à Baignes dans la maison de sa tante Marie