Lettre de Denise à Philippe, Paris, ce samedi 17 octobre 1931

Votre lettre est arrivée au moment où je me demandais ce que vous deveniez. J’avais oublié que l’écrit de votre examen durait si longtemps et je commençais à trouver le temps long. Vous êtes absurde de vous tourmenter tellement au sujet de cet examen, si j’avais su que c’était cela qui amenait un si grand changement en vous pendant les vacances, je vous aurais grondé très fort. En effet, je me rends compte que ce doit être assez pénible d’avoir toujours cette idée fixe, mais c’est un peu votre faute, Phil : quel besoin avez-vous d’y penser quand vous ne travaillez pas ?

Simone a passé sa philo jeudi. Elle a fait un mauvais devoir de philo et une bonne composition de sciences. Alors elle attend –pas très longtemps- jusqu’à lundi.

J’ai rencontré l’autre dimanche au Bois un nombre considérable de gens de Royan, du Garden[1], et parmi eux, Madeleine Duvieux, toujours aussi « roule à plat » (je vais lui ressembler, j’ai maigri de 700 grammes depuis quinze jours !). Son cousin[2] inonde toujours Simone de Lettres. Il est venu à Paris, un peu avec l’espoir de la voir, je crois, en plus de l’Exposition… Je ne sais pas comment cela se terminera. Guy Massé continue à s’enfermer dans un silence hautain. J’ignore s’il se prépare à partir pour le Maroc. Avez-vous des nouvelles de Mic (Michel Drouin) et de Pierre Bouzin ?

J’ai vu au cinéma « Trader Horn[3] », un documentaire romancé sur la faune et les habitants de l’Afrique Centrale. C’est très intéressant comme documentaire, mais idiot comme intrigue et adaptation française.

  J’ai vu au cinéma « Trader Horn»

Il fait très beau, je vais au Bois[4] assez souvent, à l’Exposition quelquefois, je dessine un peu, je me lève très tard et je prends toujours des décisions héroïques pour la semaine suivante… Je lis un « Traité d’Art Byzantin » et un livre sur la Beauté féminine moderne… Comme ça ne doit pas vous intéresser spécialement, je passe sous silence.

  

Je lis un « Traité d’Art Byzantin » et un livre sur la Beauté féminine moderne

Je vous quitte car nous allons diner chez mon oncle[5].

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[1] Le Garden : club de tennis royannais.

[2] Il s’agit de Louis Audebert, évoqué dans les précédentes lettres à plusieurs reprises.

[3] Trader Horn est un film américain réalisé par W. S. Van Dyke, sorti en 1931. C'est le premier film non-documentaire tourné sur place, en Afrique. Le film évoque s'inspire de la vie d'Alfred Aloysius «Trader  Horn», qui a réellement existé, mais en lui prêtant parfois des aventures fictives. Horn découvre notamment une reine de la jungle appelée la "déesse blanche" qui n'est autre que la fille d'un missionnaire perdue dans la jungle.

[4] Il s’agit bien évidemment du Bois de Boulogne, plus proche de Clichy où habite la famille Proutaux, mais surtout plus « chic » que le Bois de Vincennes.

[5] Maurice Proutaux, frère aîné du père de Denise, qui a épousé Jeanne, sœur aînée de la mère de Denise.