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De si longues Fiançailles
23 avril 2020

Lettre de Denise à Philippe, Paris, ce 21 décembre 1931

Phil, j’ai peur que ma lettre arrive à Bordeaux après votre départ. C’est de ma faute, j’ai été paresseuse, et justement, vous me demandiez de vous écrire souvent. Alors, je vous demande pardon et je vous promets de ne plus recommencer. C’est vrai que depuis quelque temps, c’est vous qui étiez tellement paresseux, et quand vous m’écriviez, c’était pour me dire des choses si méchantes que j’aurais préféré ne rien recevoir du tout. C’est fini, maintenant, j’espère ?

Enfin, dans trois mois, je vous aurai retrouvé. Avez-vous réfléchi que l’hiver est déjà à moitié passé[1] ?

Hier j’étais au cinéma. J’ai vu « La Chienne[2] ». Il y a Michel Simon qui joue bien, mais ce n’est pas gai ! Je ne sais pas s’il existe réellement des hommes comme ceux du film, mais ça ne m’a pas donné envie de les connaître.

affiche La Chienne 1931       La Chienne

Affiche & fiche-cinéma de "La Chienne".

J’ai vu aussi, il y a quelques jours, un documentaire « Symphonie de la Forêt Vierge », qui est instructif, avec des photos très jolies. L’opérateur[3] a pris les fièvres dans les forêts du Brésil, et il est mort sur le paquebot, en revenant. Pauvre type !

affiche symphonie de la forêt vierge 1931          Symphonie de la Forêt Vierge 1931

 

Affiche & présentation de La Symphonie de la Forêt Vierge

Auguste Bruckner Descriptif du documentaire

Livre de Pola Brückner         photo Pola

Livre sorti après le documentaire, écrit par l'épouse de l'opérateur, représentée sur la photo

J’ai lu « David Golder[4] », mais décidément, je préfère encore le film. J’ai lu aussi « La Bourrasque », de Constantin Weyer[5]. J’aime beaucoup, moins toutefois que « Manitoba » et « Un Homme se penche sur son Passé ».

Constantin Weyer B 25 M 27 u 28        Constantin- Weyer sur le France

Maurice Constantin-Weyer, auteur de Manitoba (1924), Bourrasque (1925), Un homme se penche sur son passé (1928)

Je vais patiner peut-être la semaine prochaine. J’ai un manteau russe avec une toque et des bottes jusqu’aux genoux –comme je voulais l’année dernière. Simone aussi, et il paraît qu’elle ameute –d’admiration- toute la Faculté de Droit. C’est du moins ce qu’elle assure.

Je dessine, je visite des expositions, je prends le thé avec des amies, je fais de la culture physique avec un professeur merveilleux, vous l’avais-je dit ? C’est un russe qui a une méthode très originale[6]. Je crois que c’est tout ce que j’ai d’intéressant à vous raconter, encore que je ne sois pas sûre que ça vous intéresse beaucoup.

Je vais vous quitter, Phil. Il est tard et je dors sur ma lettre.

PS : Excusez-moi, mais j’ai oublié de mettre votre lettre à la poste. Alors, je l’envoie à Royan directement.



[1] Denise prend ses rêves pour la réalité : nous sommes le 21 décembre, donc à la date du début officiel de l’hiver !

[2] La Chienne est un film français réalisé par Jean Renoir, sorti en 1931, adapté du roman éponyme de Georges de la Fouchardière. Employé effacé et peintre amateur, marié à une femme qui le déteste, Maurice Legrand tombe éperdument amoureux de Lulu, qu'il rencontre à Montmartre. Celle-ci est sous la protection de Dédé, un petit souteneur dont elle est le gagne-pain. Ce dernier la pousse à avoir une relation avec Legrand, qui en vient à l'entretenir. Dédé, toujours en manque d'argent commence à vendre les toiles de Legrand, faisant croire qu'elles sont peintes par Lulu. Cette dernière va abuser de la crédulité de Legrand et le pousser au meurtre.

[3] L’opérateur mort de la fièvre jaune en 1929, au retour de l’expédition était l’explorateur August BRÜCKNER. Son épouse Pola BAUER-ADAMARA, qui était la réalisatrice du documentaire,  écrivit « Une femme dans la forêt vierge : destin d’une expédition en Amazonie » en 1939. August Brückner et Pola Bauer-Adamara avaient déjà produit en 1928 « Samba, Héros de la Forêt Vierge ».

 La musique est de « Bétove », comme indiqué sur le document n°2 : il s’agit en réalité du compositeur  de musique de scène et de film Michel-Maurice Lévy (1883-1965), qui prend le pseudonyme de « Bétove » après la guerre de 14-18.

[4] Il est fait allusion à « David Golder » le 2 septembre et le 25 novembre 1931.

[5] Maurice Constantin-Weyer (1881-1964) a laissé une œuvre immense (romans, essais, biographies). Obligé d’interrompre ses études à la suite de la ruine de sa famille en 1901, il émigre au Canada. Il y passe onze années pendant lesquelles il est fermier, cow-boy, bûcheron, marchand de chevaux et de fourrures, reporter… Revenu en France pour la Grande Guerre, il se consacre à la littérature. Remarqué dès Manitoba (1924), il reçoit le prix Goncourt en 1928 pour Un homme se penche sur son passé. Il meurt à Vichy en 1964.Il est déjà présenté dans une lettre du 21 juin 1931.

[6] Il s’agit de Michel Nimcovitz dont il sera longuement question en 1932.

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