Lettre de Denise à Philippe, Paris, ce dimanche 3 janvier 1932
Phil, vraiment, cette fois, j’ai peur que vous soyez tout à fait fâché contre moi, ou très triste, et l’une ou l’autre chose me font autant de peine. Mais cette semaine, j’ai eu tant de visites à faire, tant de lettres ennuyeuses à écrire –et ce n’est pas fini- que les jours ont passé sans que je puisse m’en apercevoir. Maintenant, vous êtes à Bordeaux, sans doute. J’espère que vous ne vous êtes pas trop ennuyé pendant ces quelques jours, puisque vos amis étaient avec vous ; moi, j’ai fait tant de choses qu’aujourd’hui encore j’en ai la tête tout à fait vide.
Vous savez, j’ai commencé à patiner. C’est assez amusant et je crois que je vais continuer. J’aimerais tellement le faire avec vous ! Je suis sûre que vous sauriez très bien tout de suite, parce que c’est très facile. Dès la première fois, j’ai su me tenir toute seule sur la glace ! Alors, vous sauriez sûrement beaucoup mieux que moi. Si je vais dans une patinoire en plein air, je me ferai photographier pour que vous ayez mon portrait en russe. Du reste, vous me verrez à Pâques, si je n’ai pas usé mon manteau à ramasser des bûches sur la glace.
Dans les années 30, le patinage se pratiquait essentiellement au Bois de Boulogne
Figurez-vous qu’on m’a remis votre dernière lettre pendant que je prenais mon bain. Alors, comme j’ai voulu la lire immédiatement, l’eau a délayé l’encre bleue, et maintenant tout le papier semble arrosé de mes larmes[1].
La lettre de Noël de Philippe trempée, non de larmes, mais d'eau du bain...!
Est-ce que Mic (Drouin) va mieux ? Il n’a pas du tout de chance, le pauvre garçon. Et Pierre Bouzin, est-ce qu’il a retrouvé sa Russe[2] ou est-il définitivement fâché avec elle ?
Phil, il ne faut plus que vous soyez triste maintenant, puisque nous serons ensemble dans un peu plus de deux mois. Vous verrez que cela passera très vite. Je vous écrirai une longue, très longue lettre quand j’aurai fini ma correspondance du 1er de l’an. Pour le moment, je voudrais être absolument sûre que vous n’êtes pas fâché contre moi, vous ne devez pas l’être, parce que quand je ne vous écris pas, je ne vous oublie pas pour autant, vous savez.