Lettre de Philippe à Denise, Bordeaux 29-01-1932

Que vous soyez heureuse et  trouviez beaucoup de choses intéressantes à voir me console de ma vie monotone… mais beaucoup moins de l’absence de vos lettres. Enfin, essayons tous deux de nous corriger et de rendre nos lettres plus fréquentes.

Je vous ai peut-être dit que je venais de lire « La Passe dangereuse[1] » de Somerset Maugham. Ce n’est pas mal comme livre, avez-vous lu ?

   La Passe dangereuse, de Somerset Maugham

Il y avait bien un musée Goya[2] à Bordeaux, mais je n’ai pas encore eu le temps d’y aller.

  

La Casa de Goya à Bordeaux, devenue l'Institut Cervantès, au 58 Cours de l'Intendance.

Par contre, j’ai entendu Thaïs[3]… il y avait si longtemps, deux ans ou trois peut-être que je n’avais pas entendu de musique autre que celle du jazz, que l’impression a été très forte.

                              

 Thaïs, opéra de Jules Massenet, d'après le roman d'Anatole France                          Méditation, morceau extrait de Thaïs, interprêté au violon et piano

Souvent, j’ai regretté de n’entendre que de la musique trop simple, qui n’exprime rien, là les inflexions de chaque instrument ont une signification ; je ne vous parlerai pas de la Méditation[4] : trop d’encre a déjà coulé sur ce morceau où les sens expriment si bien l’évolution d’une pensée, mais l’ensemble de la pièce est tel que l’on y sent toujours la puissance de l’Amour par le retour de certains motifs particulièrement expressifs, de l’Amour qui, perdant Thaïs, conquiert  Althanaël.

Sans doute connaissez-vous cette pièce, et toutes ces impressions les avez-vous déjà senties, mais lorsque je vibre à quelque chose, je désire toujours vous le dire.

Viendrez-vous ici avant d’aller à Royan à Pâques ? Je rencontre assez souvent Jean Brunet au restaurant.

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[1] La Passe dangereuse retrace avec brio et sensibilité l'histoire d'une reconquête amoureuse, sous le Soleil de l'Orient et la menace du choléra. Cette épopée romanesque analyse avec finesse la psychologie et les rapports d'un jeune couple anglais totalement dépareillé qui, plongé au cœur d'une région ravagée par l'épidémie, va peu à peu apprendre à se connaître et à s'estimer...

[2] Casa de Goya à Bordeaux 8e (Gironde) : c'est au 57 du cours de l'Intendance que vécut le peintre espagnol Francisco Goya. Il passa les 17 dernières années de sa vie dans la ville de Bordeaux. Il y mourut le 26 avril 1828 et y fut enterré au cimetière de la Chartreuse. Les espagnols réclamèrent la dépouille mais lors de l'ouverture du cénotaphe on se rendit compte que la tête avait été dérobée. Sa dépouille se trouve aujourd'hui à l'ermitage San Isididoro de Madrid. Sa maison bordelaise est aujourd'hui le siège de l'Institut Cervantes de Bordeaux. Ce n'est en fait que le 24 juin 1824 qu'il vint s'installer dans cette maison de Bordeaux, prétextant un voyage de santé et s'exilant en fait comme plusieurs "afrancesados" libéraux. Il vécut quatre ans dans cette maison ou il mourut en 1828. il réalisa dans cette période un recueil de lithographies "Les taureaux de Bordeaux"

[3] Thaïs est un opéra en trois actes de Jules Massenet, livret de Louis Gallet, d'après le roman éponyme d'Anatole France. Il a été créé à l'Opéra de Paris le 16 mars 1894 et donné pour la première fois en province au Grand Théâtre de Reims en janvier 1895.

[4] La Méditation : l’un des morceaux les plus célèbres de Thaïs à écouter : https://youtu.be/7QtGOWemQhY