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De si longues Fiançailles
5 mai 2020

Lettre de Denise à Philippe, Royan, lundi 18 mars 1932

Phil,

J’ai eu beaucoup de peine, hier, quand tu[1] es parti. Je n’ai pas voulu te le dire, parce que tu étais assez triste comme cela, mais je crois que tu l’as compris. J’ai retrouvé ta mère[2] à la sortie de la gare, elle m’attendait pour savoir si tu n’avais pas manqué ton train, ensuite je suis rentrée à la maison.

rallye cycliste 1910 Lucie, la mère de Philippe en 1910, deux ans avant sa naissance, lors d'un rallye cycliste près de Royan (marquée d'une croix bleue)

J’ai essayé de lire « Thaïs[3] », mais j’avais le cœur trop gros, et le dîner est arrivé sans que j’aie fait autre chose que de penser à toi. Ce matin, je me suis levée tard et j’ai été rejoindre Simone sur la promenade. Je pensais la trouver seule, Royan étant à peu près désert maintenant. Néanmoins, elle était encore entourée par une bonne demi-douzaine de types, tout le reste de la population mâle, sans aucun doute. Cet après-midi, je suis allée au Garden, où j’ai retrouvé Mazauric[4], décidément destiné aux fins de vacances. Mais je crois que Simone se l’est déjà annexé. Ce soir, nous sommes allés ensemble à la roulette, où Simone a gagné la somme importante de six francs, seulement, elle a tant de flirts qu’elle ne sait celui pour lequel elle doit crier : cocorico !

1932 Simone Royan (1)  1932 Simone Royan (2)

Simone sur le cours Botton à Royan

 

Le temps aujourd’hui a été assez beau –naturellement puisque tu es parti. Pour la première fois, il n’y avait pas de vent. J’ai réfléchi sérieusement pour savoir si je pouvais rester ici jusqu’à la Pentecôte, pour te voir à ce moment-là. Mais c’est à peu près impossible. D’une part, j’ai déjà pris mon billet, je n’ai pas de robes ici en quantité suffisante, et d’autre part, s’il prenait fantaisie à ma tante de rentrer à Baignes une semaine plus tôt, je me serais ennuyée un mois entier pour rien, puisque je ne pourrai te voir… alors le plus sage est encore de rentrer.

J’ai commencé à lire le livre de Monfreid[5]. Il me plaît beaucoup

Henry de Monfreid  La vie d'Henry de Monfreid inspira Hergé dans les aventures de Tintin.

J’ai aussi les photos. Elles ne sont pas mal réussies et le contrejour où tu es est merveilleux. Diras-tu encore que je ne sais plus prendre les contrejours, méchant garçon ? Je ne t’envoie pas l’une de celles où je suis de dos, j’y suis trop laide.

1932 03 18 Contre-jour Philippe (1) Phil, contre-jour et reflet, Royan mars 1932.



[1] 18 mars 1932, première lettre où le tutoiement apparaît. Denise et Philippe reviendront au vouvoiement dans les lettres suivantes, puis adopteront le tutoiement.  Ils se vouvoieront après la guerre, à Casablanca. J’ai entendu ce vouvoiement tout au long de mon enfance.

[2] La mère de Philippe s’appelle Lucie. Philippe porte le même nom de famille qu’elle puisqu’elle l’a eu sans être marié et a refusé que le père reconnaisse l’enfant. Ce père de Philippe, c’est Henry Postel du Mas, journaliste, très tôt disparu, à 36 ans, en 1926.

[3] Thaïs est un roman d’Anatole France, inspiré de la vie de sainte Thaïs, publié en 1891.

[4] Je trouve dans le carnet d’adresse de Denise de cette époque : Edmond Mazauric, 25 boulevard Saint-Germain, Paris V. Par ailleurs, Mazauric est un nom de famille protestant, d’où sont issus plusieurs pasteurs (TROIS FRÈRES PASTEURS AU DÉSERT: Louis, Pierre et Jean MAZAURIC) ainsi qu’un spécialiste de l’histoire  protestante, Roger Mazauric (1893-1987) et l’historien communiste de la Révolution Claude Mazauric, né en 1932. Il existe un médecin,  MAZAURIC Edmond - LA MURE D'ISERE, médaillé de la Résistance. Parmi les « Amis de la Bibliothèque et du Musée du Protestantisme français », on trouve également la trace d’Edmond Mazauric (années 60-70).

[5] Henry de Monfreid (1879-1974, écrivain, commerçant et aventurier dont les livres enchantaient Denise et Philippe. Il a beaucoup écrit sur l’Ethiopie et la Mer Rouge.

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