Lettre de Philippe à Denise, Bordeaux, 14-05-1932

Je le reconnais, j’ai été paresseux pour vous écrire tous ces temps derniers et pourtant, je ne vous oubliais pas. Je n’ai d’ailleurs rien vu ou fait d’intéressant sauf lire un livre de Feuga[1] « Le Vent à l’étrave » qui n’est pas mal.

  Le Vent à l'Etrave, roman de Jean Feuga

Je pars ce soir pour Royan et reviendrai sans doute mardi matin. Pierre (Bouzin) doit être là-bas depuis hier soir et nous irons à la Rochelle voir un cotre[2] qui est à vendre.

                   

 Un grand cotre de croisière, le Daphnée, Nomandie 1933                                                                   La Rochelle en 1932

Je vais d’ailleurs profiter de ces quelques jours de congé pour me mettre à l’eau le plus souvent possible car ici, je ne puis guère le faire : les piscines sont minuscules et sales et l’eau de la Garonne ne vaut guère mieux.

Mon examen a lieu le 15 juin, comme chaque année et il vient de paraître un décret qui n’est pas fait pour le faciliter … mais je serai reçu s’il plaît à Dieu.

Pardonnez-moi cette lettre ridiculement courte mais j’ai plusieurs courses à faire avant de partir, j’ai cours tout cet après-midi et mon train part à 5h moins 10 !. Je vous écrirai de Royan une lettre plus longue où je mettrai tout le soleil ( ?) de ce beau ( ?) pays pour chasser les papillons noirs. Si je vous ai écrit aujourd’hui, ce n’était pas seulement pour bavarder avec vous, mais aussi pour vous souhaiter que S^te Denise[3] vous protège toujours.

  la petite suppliciée Sainte Denise

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[1] Jean Feuga est né en 1906 dans le Gers. Il fut navigateur et entra dans la marine en 1923; il devient subrécargue (nom donné à une personne qui a autorité sur la cargaison d'un navire, qui en représente le propriétaire et agit au nom de celui dont il a le mandat), en 1946.

Il écrit autant des récits de marine que des articles en tant que reporter, et c'est dans les années 30 que ses écrits sont remarqués. Il sera édité par la maison Hachette dans la collection "Bibliothèque Verte".

Il a reçu le Prix du Cercle Littéraire français en 1930 pour son roman "Le vent à l'étrave".

Jean Feuga est décédé en 1963.

[2] Le cotre (de l'anglais cutter) est un voilier à un mât gréé en voile aurique (de forme quadrangulaire non symétrique), rapide et maniable, généralement équipé d'une grand-voile à corne, d'un flèche et de deux focs : le foc au sens strict et la trinquette

[3] Sainte Denise a 16 ans. Le récit de sa passion, comme celui de ses camarades, est authentifié par les sources les plus certaines. Nous sommes en 251. Dèce est empereur. Optimus est proconsul d’Asie. Un jeune homme appelé Pierre est arrêté et exécuté. Quelques jours plus tard, c’est le tour d’André, Paul et Nicomaque. Nicomaque, sous la torture, renie le Christ et se donne la mort. Denise s’écrie : «Comment as-tu pu faire cela ?» On l’arrête et on la donne en pâture à deux voyous pour qu’ils la violent. Un jeune homme à la lumière éclatante surgit. Effrayés, ils s’enfuient. Denise leur dit : «C’est le défenseur et le gardien que Dieu me donne !» Elle est jetée en prison et réussit à échapper à ses gardiens, se précipitant en pleurant sur les corps meurtris d’André et Paul : «Afin de pouvoir vivre avec vous dans le ciel, je veux mourir avec vous sur la terre.» On l’arrache à ses pleurs et on la décapite.