Lettre de Denise à Philippe, Paris, ce vendredi 27 mai 1932
Phil, j’avais commencé une lettre pour vous depuis deux jours, et comme la vôtre est arrivée dans l’intervalle, je viens de la déchirer (pas la vôtre…). Je suis contente que vous pensiez à moi toujours et je suis très paresseuse de ne pas vous écrire plus souvent. Vous avez été tellement gentil de n’avoir pas oublié ma fête, je vous remercie énormément (pardon pour le retard) du flacon de parfum, je ne l’ai pas encore ouvert parce que je n’ai pas terminé celui de l’an dernier. Je fais des économies.
Ce n’est pas tout à fait de ma faute si je ne vous écris pas, car depuis quinze jours, je pose constamment pour mon amie hindoue, qui fait de moi et de sa sœur une très grande toile pour le concours de portraits des Beaux-Arts et pour le Salon d’Automne. Ce n’est pas très dans le caractère, mais c’est très joli de couleur. Je pose, le buste et les pieds nus, drapée dans une étoffe bleu-vert, et comme j’ai les cheveux sur les épaules, ça fait très bien avec la couleur de l’étoffe. Peut-être ce sera fini la semaine prochaine.
Portrait de Jeunes Filles, d'Amrita Sher-Gil, (Indira et Denise)
Je dessine aussi un peu. J’ai fait un croquis épatant d’un de mes cousins[1], ça m’a remonté considérablement dans l’estime de ma famille.
Le cousin de Denise: Maxime Dunesme, poème de 1923 calligraphié et à St Maigrin (Charente) en avril 1924
Comme cinéma, j’ai vu « Tumultes ». Ce n’est pas mal, c’est du « Big Horn » de qualité inférieure ; Charles Boyer et Florelle y jouent bien.
Charles Boyer et Florelle dans Tumultes (1932)
J’attends que sorte L’Atlantide de Pabst pour aller admirer ( ?) Tela Tchaï que je connais, et surtout Brigitte Helm[2], pour laquelle j’ai une grande passion. –Vendredi prochain, je vais à un récital de danse donné par Tony Grégory – tu sais, ce danseur à qui on trouvait que tu ressemblais (ce n’était pas flatteur pour toi, du reste…). Comme mime, il a un talent assez original.
Portrait de Tela Tchaï en 1932 Article sur Tony Gregory
Voici un autre coin de ma chambre avec le divan sur lequel je dors. Comme vous aurez peut-être du mal à me reconnaître, je vous préviens charitablement que c’est moi qui suis assise dessus… Envoyez-moi des photos de vous, si vous en avez de nouvelles, vous me ferez grand plaisir.
La chambre de Denise à Clichy, 1932
Simone passe son examen en même temps que vous – le 13 je crois. On pense généralement qu’elle sera collée. Je ne sais trop ce qui se passera pour les vacances, mais je sais déjà que je suis demoiselle d’honneur le 29 septembre[3], à Paris, et en jaune soufre pour comble de bonheur. Ça me fera quitter Royan vers le 27, ce dont je me serais bien passée, surtout si vous y êtes encore.
[1] Je n’ai pas retrouvé l’excellent croquis du cousin, mais je suis certain qu’il s’agit de Maxime Dunesme, cousin beaucoup plus âgé que Denise, qui avait une grande affection pour elle. Maxime écrivait des poèmes et je vous en présente un ici, calligraphié de sa propre main.
[2] Se reporter aux photos du 25 janvier 1932 pour Tela Tchaï et du 1er octobre 1931 pour Brigitte Helm
[3] Ce sera le mariage de son amie d’enfance Solange Bourgoin avec Monsieur Raymond Jouachim.