Lettre de Denise à Philippe, Paris, samedi 25 juin 1932
Phil votre dernière lettre date du 4 juin, et je suis sûre, tout à fait sûre d’y avoir répondu il y a une dizaine de jours. Alors … que signifie votre silence, encore une fois ? Pourquoi ne m’écrivez-vous que très rarement depuis Pâques ? Ignorez-vous que vous me faites beaucoup de peine ? Je ne sais plus rien de vous, de votre vie. Peut-être avez-vous passé votre examen. A tout hasard, j’envoie cette lettre à Royan.
Simone est collée[1] … Comme elle commence à en avoir l’habitude, elle a accueilli cette nouvelle avec une douce philosophie. Toutefois, elle a pris des résolutions héroïques : elle n’ira pas à Royan et partira pour Baignes le 15 juillet pour revenir à Paris un mois après. Moi qui ne tiens pas à voir augmenter la durée du temps que je passe chaque année dans ce trou délicieux, je n’en suis pas enchantée … à moins que nous allions à Royan en août –mais c’est encore à l’état de très vague projet.
J’ai enfin vu « Le Chant du Marin[2] », ça m’a assez plu, mais j’y ai trouvé pas mal de longueurs, la scène de l’ivresse entre autres. J’ai aimé certains passages : celui où Préjean chante et où l’on voit tous les marins à contre-jour. La danseuse espagnole était très belle.
Lolita Benavente, "La danseuse espagnole était très belle"
J’ai vu aussi « L’Atlantide[3] ». Au début, j’étais un peu déçue, parce que ça ne rappelle en rien le roman. Mais, après, j’ai trouvé que c’était un beau film. La scène où Saint-Avit cherche Morhange à travers le dédale du palais d’Antinéa, et où l’on n’entend que le seul bruit de ses sandales sur le sol –sa fuite dans le désert et la mort de Tanit Zerga, la tempête de sable finale, et en général, toutes les scènes du désert- m’ont beaucoup plu. La photo est excellente, elle dépasse tout ce que j’ai vu jusqu’à présent, et Brigitte Helm est une Antinéa merveilleusement belle. Je crois bien que c’est la seule femme au monde qui me donne l’impression de beauté parfaite. Ce Pabst doit être un grand artiste : certaines scènes dans le palais d’Antinéa sont traitées comme on compose un tableau.
L'Atlantide, de Pabst, 1932 Brigitte Helm (Antinéa) et Jean Angelo (Morhange)
Je vous envoie deux photos de moi, bien que vous ne le méritiez guère –méchant garçon. L’une est prise chez mes amies lorsque le tableau était presque fini, et l’autre à la culture physique. On me devine plus qu’on me voit sur la dernière, mais je vous l’envoie parce qu’elle est très gentille.
La pose chez Amrita Autour de Michel Nimcovitz, Simone et Denise
J’ai été à Villennes dimanche dernier, c’était très amusant. Nous avons pris beaucoup de photos[4], vous en recevrez dans quelques jours.
J’espère que je vais recevoir une longue lettre de vous, Phil, où vous me demanderez pardon de votre silence. Est-il donc tellement difficile de prendre une plume et un papier et de laisser parler votre cœur ? L’année dernière, il ne fallait pas vous en prier, il me semble…