Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
De si longues Fiançailles
15 juin 2020

Lettre de Denise à Philippe, Royan, samedi 16 septembre 1933

J’ai été très contente de recevoir ta lettre. Elle n’était pas très longue, mais enfin, c’est toujours ça. Tu ne peux pas te figurer, quand tu n’es plus auprès de moi, j’ai absolument l’impression que tu m’échappes. Je dis des bêtises, tu n’es pas fâché ? mais je viens de lire dans « La Mer[1] » une phrase qui m’a fait de la peine… Enfin, ce n’est pas la phrase qui m’a fait de la peine, mais tu l’as soulignée. Sais-tu laquelle ? Je te le dirai quand je te verrai à Bordeaux.

J’essaie de t’écrire quelque chose de sensé, mais on parle autour de moi et ce n’est pas facile. Depuis ton départ, j’ai été très sage, je suis restée seule tout le temps sur la plage avec un livre. J’ai presque fini « La Mer » que j’aime beaucoup, mais j’ai été déçue par les poèmes de Heine. Aujourd’hui je suis montée sur la « Tchad » avec Mic (Michel Drouin), Mignot et René Charbonneau. On a mis environ 1h ½  pour aller de Foncillon au port, le vent étant, paraît-il, très favorable. Mignot passe toutes les matinées à travailler sur le Paul-Michel, entouré par un attirail impressionnant de pinces, de vis, de clous et de pots de peinture. Entre-temps, il cherche Pierre Bouzin[2] toujours invisible.

1933 09 16 Royan le Paul-Michel peut-être avec Mignot   1933 09 16 Le Paul-Michel

Le Paul-Michel, peut-être avec André Mignot, 1933                                  Le Paul-Michel dessiné par Philippe

Il fait très beau depuis deux jours et j’ai encore bruni. Figure-toi que depuis ton départ, j’ai un peu moins peur de l’eau. Je m’en vais toute seule dans un endroit où j’en ai jusqu’au cou, je ferme les yeux et je fais cinq ou six brasses dans la direction du plongeoir… Pour aller, ça va assez bien, je pense que ça te ferait plaisir et ça me donne du courage, mais le retour est plus pénible parce que je me mets à songer subitement que je n’ai plus pied, et c’est une pensée très désagréable pour moi !

1933 09 16 plongeon Philippe en face du Casino de Royan en août    1933 09 16 plongeon Philippe Royan en août

 1933, les plongeons de Philippe dans la Gironde (à gauche, on voit distictement le Casino)

N’oublie pas de me dire ce que je dois prendre pour aller te voir. Il me semble que la semaine prochaine ne finira jamais.

Il y a eu encore un incendie depuis ton départ. Cette fois, c’était un garage square Botton. Le pauvre marin dont le bateau avait brûlé est mort, paraît-il, des suites de ses blessures.

1933 09 16 Square Boton square Botton, lieu de l'incendie

Je n’ai plus beaucoup de nouvelles à t’apprendre. Le séduisant Hospitel et le non moins séduisant Jean Luquiau[3] (?) se promènent dans Royan les têtes désabusées des fins de vacances. Si je n’étais pas décidée à te rester fidèle, je sens que mon cœur bondirait vers eux…

Jean Luquiau

Une photo de Jean Luquiau (né le 12 juillet 1912, la même année que Philippe), très aimablement envoyée par sa fille, Sandrine, grâce à la précieuse collaboration de Martine Luquiau, nièce de Jean. Les deux personnes entourant Jean n'ont pu être identifiées ni la photo datée.

Villa Maïtena à st Georges, maman sur le rebord de la fenêtre Jean avec cravate, 1m74

Photo aimablement fournie par Sandrine Luquiau: La villa Maïtena à Saint-Georges-de-Didonne; Jean Luquiau est debout avec une cravate et sa maman est assise sur le rebord de la fenêtre

plage du Casino à Foncillon Jean 4e à partir de la droite

 Photo aimablement fournie par Sandrine Luquiau: la plage de Foncillon, on aperçoit le drapeau du Casino à l'arrière-plan; Jean Luquiau est le 4e à partir de la droite

Tous les garçons que je rencontre me paraissent laids et bêtes. Pourquoi es-tu parti ? Ecris-moi vite !

Phil, n’oublie pas de me dire ce que je dois prendre pour aller te voir. Il me semble que la semaine prochaine ne finira jamais.



[1] La Mer, de Kellermann. Voir à ce sujet la lettre de Philippe du 25 novembre 1931. J’ai relu le livre qui se trouve dans la bibliothèque familiale, dans l’espoir de retrouver la phrase soulignée, mais il devait s’agir d’un autre exemplaire. Par contre, je pense avoir déniché le passage, qui traduit l’éternel dilemme du Marin, entre la Femme et la Mer : « Mais si tu venais maintenant, Roseher, je te dirais : « Bonjour, comment vas-tu ? » et rien de plus. Oui, si la reine de Honolulu venait, elle dont on prétend qu’elle dépasse toutes les femmes en séduction, je lui dirais : « Bonsoir Madame », et je soufflerais dans le tuyau de ma pipe : pff !... »

[2] Pierre Bouzin, parisien, camarade plus âgé que Philippe, est le propriétaire du bateau "Le Paul-Michel".

[3] à propos de Jean Luquiau : le point d’exclamation est de Denise. La fille de Jean Luquiau, Sandrine Luquiau, m’a très aimablement fourni des renseignements sur la vie de son père : celui-ci est né en 1912, comme Philippe. Il est décédé le 22 octobre 1990, à l’âge de 78 ans. Né à Châtellerault dans la Vienne, où se situe la berceau familial (Civray), c’est à Aix-en-Provence qu’il passa la plus grande partie de son existence, exerçant la profession d’huissier. Cette activité ne convenait guère à son tempérament, plutôt artiste et poète. A partir de 1951, Jean Luquiau et son épouse acquirent une maison de campagne dans les Deux-Sèvres, où la famille venait régulièrement passer ses vacances. Jean Luquiau fréquentait Royan l’été dans sa jeunesse car sa maman  y possédait une maison, « Maïtena », à Saint Georges-de-Didonne près de Royan. Tous mes remerciements vont à Sandrine.

Publicité
Publicité
Commentaires
De si longues Fiançailles
Publicité
Archives
Publicité