Lettre de Philippe à Denise, Bordeaux, lundi 9 octobre 1933

Cela fait plusieurs jours que je ne t’ai pas écrit et tu dois me maudire, ou, ce qui est pire, t’imaginer des tas de choses invraisemblables sur mon compte…

Pendant ces huit jours, j’ai quand même pensé à toi très souvent, mais je ne sais pourquoi, j’attendais une lettre de toi, sans raison, et maintenant, j’aimerais mieux que celle-ci arrive à toi avant que tu m’écrives…

Ta photo prise dans les rochers du Fort est très bien… mais … ta pose majestueuse laisse supposer que tu veux commander aux flots, à la nature, et au monde entier. Et par cela même, ce n’est plus bien du tout, parce que cela ne te ressemble pas.

 "… ta pose majestueuse laisse supposer que tu veux commander aux flots, à la nature, et au monde entier." (détail de la photo publiée le 3 octobre 1933)

Je suis descendu l’autre jour sur le port et j’y ai vu deux morutiers,deux trois-mâts goélettes qui me plaisaient fort. J’aimerais avec un navire comme cela t’emporter vers les îles du Sud. Aimerais-tu y aller, même si l’on devait ne jamais revenir ?

Tu me parles de Noël, je ne sais guère où je serai à ce moment-là. Laissons agir le temps, il décidera de ce que nous devrons faire. Evidemment, j’aimerais beaucoup te revoir à Royan pendant cette période. Mais comment  viendrais-tu ? Seule, ou avec ta sœur, ou pire, avec ta tante ?

Tu sais, je ne te dis jamais que tu es jolie, je ne te fais jamais de compliments sur tes robes ou tes pensées, je crois que c’est parce que je n’ose pas.

P.S. : je passe mon examen demain (le 10 octobre), il finira vendredi à midi et ensuite je partirai sans doute pour quelques jours à bord du « Mégo » (le Mégophias).