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De si longues Fiançailles
10 juillet 2020

Lettre de Denise à Philippe, Paris, ce dimanche 18 février 1934

Phil, je crois que nous sommes très bêtes tous les deux. Toi, tu étais fâché de mon silence (j’ai tout de même écrit trois fois !) –et moi, je l’ai été de ta lettre. Résultat : on ne s’écrit plus…

Ecoute, je te promets que c’est la dernière fois que je boude. Tu ne peux pas dire que ça m’arrive trop souvent ! Mais vraiment, tu es resté presque un mois sans me donner de tes nouvelles, et ensuite, cette lettre… je n’y comprends rien. Enfin, je t’ai écrit deux fois à quelques jours d’intervalle, et la 2e fois, je t’annonçais le mariage de Guy Massé[1]. N’as-tu donc rien reçu ?

Mais ne parlons plus de cela. Tu sais, je pense que la vie est mouvementée ici depuis quelques jours. Toute la semaine dernière, les gens se battaient dans les rues. Malheureusement, je n’ai jamais eu la chance d’assister à quelque chose d’intéressant : ça se passait toujours dans un autre endroit de Paris que celui où je me trouvais. Le fameux mardi tragique[2], je suis passée place de la Concorde et à la Chambre au moment le plus fort de l’émeute, mais c’était en dessous … dans le métro, et je ne savais  même pas ce qui se passait au-dessus de ma tête.

1934 02 18 Place de la Concorde 7 février            1934 les ligues défilent aux obsèques de Lucien Gariel début février

 la journée du mardi 6 février à la Concorde                             défilé des ligues lors des obsèque de Lucien Gariel mort le 6

Cette semaine, ça a l’air un peu calmé, mais aujourd’hui, les gens sont consternés par la nouvelle de la mort du roi Albert, et Maman m’empêche d’écrire en lisant tout haut, avec des commentaires, quelques uns des vingt-quatre journaux qui emplissent la salle à manger.

1934 02 18 L'illustration mort du roi Albert le 17   La mort du roi Albert 1er

Que fais-tu  depuis ton retour à Bordeaux ? Tu ne me dis absolument rien de toi. J’ai une envie très grande de te voir et je commence à compter les jours qui me séparent de Pâques. Dès que tu le sauras, dis-moi exactement à quel moment tu arriveras à Royan.

Je suis toujours passablement découragée et abrutie. Si tu pouvais être ici, ça irait beaucoup mieux, j’en suis certaine. Je me demande ce que tu peux faire pour ne pas t’ennuyer. Moi, je ne fais rien, je mène une vie absurde et sans but. Ce n’est pas drôle…

Est-ce le commandant Bonnot de Royan qui commande la Croix-du-Sud[3] ? Je te l’ai demandé déjà deux ou trois fois.

1934 02 18 Laté 300 Commandant Bonnot en 1929        Latécoère 300 Croix du Sud en 1934

 1929 Le commandant Bonnot et la Croix du Sud                     Le Latécoère 300 la Croix du Sud en 1934

Rosé[4] est toujours aussi idiot et énervant. Il continue de parler à tort et à travers. Pour l’instant, il pose pour une camarade d’Amrita qui a fait de lui un portrait assez drôle, en ce sens qu’elle a exagéré tous les signes de dégénérescence et d’épuisement de race qu’il présente. Alors tu vois ce que ça peut donner. Il paraît qu’en posant, il a chanté tes louanges –l’autre jeune fille ne te connaît pas, mais c’est Amri qui me l’a dit –et raconté sur moi des choses plus ou moins saugrenues, ce qui m’enchante moins. Si jamais, il s’installe définitivement dans la famille, je crois que ça me donnera le courage qui me fait défaut pour aller chercher fortune ailleurs…

J’ai été visiter la cathédrale de Chartres, il y a quelques jours –justement le fameux mardi historique. C’est très, très beau et j’aurais aimé y être avec toi.

1934 02 18 cathédrale de Chartres   La cathédrale de Chartres

J’ai lu « La Condition humaine », de Malraux. Ça m’a plu beaucoup.

1934 02 18 La Condition Humaine 

Les lectures hétéroclites de Denise en ce mois de février 34.

J’ai lu des tas de choses un peu pêle-mêle depuis quelque temps : une « vie de Trotski », deux études sur Lénine, les « Contes libertins » de Voltaire –très bien, mais ça ne te plairait pas- et « La Religieuse », de Diderot, que je n’aime pas.

Pardonne-moi, je suis obligée de te quitter pour aller diner. Mets de côté ta dignité et réponds-moi tout de suite.

L'épopée de La Croix du Sud

1933 12 31 à 1934 01 31 La Croix du Sud (1)         1933 12 31 à 1934 01 31 La Croix du Sud (2)

 Photo en la possession de Lucie, au dos de laquelle elle avait détaillé le raid:  La Croix du Sud, Commandant Roger Bonnot, Lieutenant de vaisseau Jeanpierre[5], Pilote Gauthier[6], Radiotélégraphiste Emont, mécanicien Durruthy, Départ étang de Berre31 décembre 1933 13h12, Arrivée St Louis du Sénégal lundi 1er janvier 1934 midi 5, Départ St Louis mercredi 3 janvier 15h15, Arrivée Natal jeudi 4 janvier 193410h du matin,3273 km, Retour : Départ Natal mardi 30 janvier 14h, Arrivée St Louis mercredi 31 janvier 11h43

 La Croix du Sud      Lieutenant de vaisseau Jeanpierre article

 La Coix du Sud en 1934, Laté 300                                            Lieutenant de vaisseau Jeanpierre sur le chemin du retour

Le radio télégraphiste B     trajet France-Sénégal

 B. Emont                                                                        Trajet France-Sénégal

Record       Revue Technique Hispano Suiza avril 34 Bonnot Emont Jeanpierre Gauthier Durruthy

Record battu!               L'équipe de La Croix du Sud, de gauche à droite: Bonnot, Emont, Jeanpierre, Gauthier, Durruthy



[1] Guy Massé est un ancien prétendant de Simone, la sœur de Denise. Les familles Proutaux et Massé se fréquentaient et les jeunes gens se sont connus vers 1929-30.

[2] « Tous à la Concorde! Bien que le lieu de rendez-vous n'ait pas été fixé, c'est là que convergeront, dès la sortie des bureaux, tous ceux qui exècrent cette République incapable de faire face à la crise qui sévit depuis trois ans en France. C'est juste en face, de l'autre côté de la Seine, que le gouvernement du radical Daladier doit être investi dans la soirée à la chambre des députés. Tout ce que les manifestants détestent est concentré là, dans ce temple des compromis boiteux, de l'instabilité ministérielle et de la corruption. « A bas les voleurs! » scandent déjà les premiers manifestants qui déboulent vers 17 heures. Le mardi 6 février 1934, 30 000 manifestants, exaspérés par une République à la peine, convergent vers le Palais-Bourbon. L'émeute, d'une violence inouïe, fait 15 morts. »  

[3] J’aurai l’occasion de parler plus tard du commandant Bonnot, qui est un ami de la famille Dyvorne. La Croix du Sud sert au transport du courrier pour l'Aéropostale, avec un équipage constitué par la Marine nationale et pour commandant de bord, le capitaine de corvette Bonnot. L'appareil effectue alors son premier grand vol, en reliant du 31 décembre 1933, au 1er janvier 1934, l'étang de Berre à Saint-Louis-du-Sénégal, sans escale, soit 3 679,4 km, battant du même coup, le record du monde de distance en ligne droite en hydravion. S'ensuivit, le 3 janvier suivant, sa première traversée de l'Atlantique sud, de Dakar à Natal (3 418 km), qu'il réalisa en 18 heures 50 minutes. L'appareil effectua ensuite, du 9 au 27 janvier, un long voyage de propagande, en Amérique du Sud, avant d'entamer son voyage de retour vers l'Europe, le 31 janvier, avec une seconde traversée de l'Océan, dans le sens Natal-Dakar. À son arrivée en France, aux plan d'eau des Mureaux, le 8 février 1934, l'équipage fut accueilli avec les honneurs par le général Denain.

[4] Lucien Rosé, futur beau-frère de Denise, il épousera sa sœur Simone en 1936 avant de voguer vers l’Afrique comme administrateur colonial.

 

[5] Robert Auguste Michel JEANPIERRE DUPETIT-THOUARS (1898 – 1948). Le 31 Décembre 1933, copilote du capitaine de corvette Bonnot à bord du Laté 300 Croix du Sud, il décolle de Berre et amerrit le 1° Janvier 1934 à Saint Louis Du Sénégal, parcourant 3793 km, record mondial de distance pour hydravion.

 

[6] Premier Maître mécanicien d’Aéronautique Gauthier

 

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