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De si longues Fiançailles
18 juillet 2020

Lettre de Denise à Philippe, Royan, mercredi-jeudi 25-26 avril 1934

Phil, avant de quitter Royan, je n’ai pas été trop triste parce qu’ici, tout me parle de toi… mais je sens que demain, dans le train qui me ramènera à Paris, j’aurai joliment le cafard. C’est drôle, plus ça va et plus j’aime ce pays.

Depuis ton départ, j’ai presque toujours été au port. J’y connais des tas de gens maintenant. Je suis tout à fait intime avec Sorlut[1] depuis que je lui ai donné les photos et je devais aller à la pêche avec lui toute la journée aujourd’hui au Verdon. Malheureusement, avec la tempête de la nuit dernière, il n’a pas pu sortir. C’est de la malchance… Il va retourner à Paris prochainement à cause d’une poissonnerie qu’il est en train de monter –c’est une histoire très drôle et trop compliquée pour que je te la raconte –et il a voulu absolument que je lui donne mon adresse « pour m’écrire ». Je pense que je vais le voir rappliquer un de ces jours. Quand il est à Paris, il rend visite à tous les gens qu’il connaît de Royan, même au général Braconnier[2] qui est à l’Elysée!

1895 Braconnier    1933 Braconnier

   en 1895                            Le général Josepg Eugène Charles Braconnier (1874-1961)                                   en 1933

Il veut aussi monter un restaurant à Bonne-Anse, m’a-t-il dit. Il est plein d’idées… Enfin, quand il m’aperçoit dans les rues de Royan, il m’appelle ou pousse des hurlements pour attirer mon attention, ce qui a eu pour résultat d’ahurir légèrement ton grand-père qui passait à côté de nous hier… Evidemment, nous devions former un couple assez original.

1934 04 25-26 port de Royan      1934 04 25 Paul Dyvorne en 1932

 Le port de Royan vers 1934                                                 Paul Dyvorne, grand-père de Philippe à Royan

Celui que tu prenais pour son fils est un marin breton, de Vannes, qui est venu échouer à Royan il ne sait pas pourquoi. Il est gentil. L’autre -le pirate barbaresque- est une tête brûlée, paraît-il, et ne sort de la prison de Marennes que pour y retourner.

Je connais aussi le patron du « Jeune Emile », le bateau qui a brûlé en septembre 1933[3]. Pauvre type. Il a la colonne vertébrale esquintée et aussi une jambe, et il ne pourra jamais plus retourner en mer. En plus de cela, son bateau n’était pas assuré. Alors, il passe son temps à se traîner dans le port et à regarder les autres. Il m’a dit qu’il ne fallait pas que j’épouse un marin parce que c’était le dernier des métiers, et il m’a dressé un tableau tellement sombre de la vie que je mènerais si ça m’arrivait qu’il m’en a presque flanqué le cafard. Entre nous, je crois qu’il est sérieusement amoureux de moi… mais j’espère que tu n’es pas jaloux !

Enfin, je ne me suis pas trop ennuyée. Sorlut me parlait de toi, il pense que je suis ta fiancée et il te fait dire bonjour.

Je te raconte toutes ces choses, peut-être que cela t’ennuie, mais c’est tout ce que j’ai fait depuis ton départ, à part penser à toi (c'est-à-dire j’y pensais en même temps). Tu as sûrement reçu ma lettre. Réponds-moi très vite. Je t’en prie, travaille bien, je voudrais tant que tu en aies fini avec tous ces examens.



[1] Sorlut : nom de famille de la région. Ne connaissant pas le prénom, je ne peux préciser l’identité de ce marin-pêcheur. Cependant, un site de généalogie m’indique : Charles Maurice SORLUT, né le 22 mars 1885 (Barzan, Charente-Maritime), décédé le 19 mai 1956  (Montpellier-de-Médillan, Charente-Maritime), profession  Marin.

[2] Général de Corps d'Armée Joseph Eugène Charles BRACONNIER. 1874 - 1961. Il a été nommé Général de Brigade en 1926, puis Général de Division en 1930, puis Général de Corps d'Armée en 1932. Il était Grand Croix de la Légion d'Honneur.

[3] Royan. 13 septembre 1933. Un incendie s'est déclaré à bord d'un bateau de pêche amarré au port, 'provoqué par un retour de flamme, au moment de la mise en marche, suivi de l'explosion du moteur. Le jeune matelot Roger Sorlut, 22 ans, grièvement brûlé, a été transporté à l'hôpital Marie-Amélie. Sa vie ne parait pas en danger. Le patron, M. Vasse, a été projeté en l'air et est retombé dans l'eau, mais a pu se sauver. Le bateau a été entièrement détruit. (in L’Humanité du 14-09-1933). Coïncidence, le matelot porte le même nom que le patron-pêcheur du début de la lettre, s’agissait-il de son fils ? Denise ne fait pas le rapprochement.

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