Lettre de Nelly à Denise, Le Caire, ce 12 juillet 1934
33, rue Kasr-el-Ali, Le Caire
Denyse si chère,
Tes souhaits si sincères pour mon bonheur me sont bien arrivés, ma reconnaissance envers toi est très grande ! Tu as tout à fait raison : un mariage envisagé sérieusement est une chose si difficile, une responsabilité pour toute la vie. Aussi, suis-je en train de lutter pour vaincre, je voudrais organiser ma nouvelle vie, l’établir sur des bases solides ; cela te semblera drôle de savoir que je connaissais très peu mon mari, mais il ne m’a pas déçu.
Seulement, deux caractères différents ont du mal à s’adapter, quoique j’essaye d’être conciliante[1]. Je ne te cacherai pas non plus que ce n’est pas un mariage d’amour de ma part, il est beaucoup plus amoureux de moi que je ne mérite de l’être, mais la sympathie et l’estime réciproques pourraient peut-être remplacer l’amour, bien que j’en doute !
J’ai peut-être l’espoir de te voir en Septembre, mais seras-tu rentrée (de Royan) ? Oh que je serais heureuse de te rencontrer enfin ! Que d’impressions à échanger, ce serait un bien beau rêve !
Denyse chérie ! De tout mon cœur, je forme pour toi des vœux de bonheur parfait, te souhaitant de trouver toutes les difficultés aplanies et ton bonheur comblé[2] !
Veux-tu être assez gentille pour me mettre au courant du programme de tes vacances ?
Je joins à ma lettre quelques photos prises à la maison avant de la quitter pour franchir le seuil de ma nouvelle vie : ma robe était en crêpe de satin naturellement avec une traîne en plissés soleil, longue de 2m50. Le voile, en tulle d’Alençon, bordé d’une véritable dentelle Racine, le tout commandé à Paris[3].
Les demoiselles d’honneur, au nombre de six, en organdi bleu, robes de style 1900 offertes par maman, capelines blanches avec garnitures, fleurs roses et bleues sur un ruban en organdi du même tissu que la robe ! Les trois petites en organdi blanc, et le petit en velours noir ! Tous les costumes et robes furent offerts par maman. La cérémonie eut lieu à l’Eglise[4], des bonbonnières en cristal furent distribuées aux assistants (environ 400), puis un diner réunit la famille chez mes beaux-parents, et vers 1h du matin, je rentrai chez moi. Quatre jours après, je partis en avion[5] pour Alexandrie (la distance est franchie en 75 minutes). Le voyage fut des plus agréables, le retour s’effectua aussi par avion.
Si tu ne reçois pas cette fois, de photo de mon mari, tu en auras une dans ma prochaine lettre[6] !
Toutes ces photos furent prises dans le salon de mes parents par mon jeune frère (Joseph Zaky, vraisemblablement né en 1915) : un photographe en prit aussi, mais je viens seulement de les commander, si cela t’intéresse d’avoir une grande photo, je t’en enverrai une, avec plaisir !
J’espère recevoir bientôt des tiennes. T’embrasse aussi tendrement que je t’aime et te remercie encore pour tes vœux si sincères. Ta Nilette
[1] Cette constatation de Nelly, moins de deux mois après le mariage, est inquiétante…
[2] Denise a dû certainement parler enfin de Philippe dans sa dernière lettre à Nelly, qui jusqu’à présent en ignorait l’existence.
[3] Revoir absolument la lettre du 21 mai 1934 de Denise à Philippe, qui contient toutes ces photos !
[4] Rappelons tout de même que l’heureux époux, M. Awadalla, est musulman.
[5] Le décollage se fit de l’aérodrome d’Almaza, situé au nord-est du Caire. Cet aéroport, créé en 1910, était d’abord civil, à l’époque, avant de devenir une base aérienne militaire. Une partie cependant, reste réservée à l’aviation civile régionale. D’abord appelé aérodrome d’Héliopolis, il fut rebaptisé en 1920 aérodrome d’Almaza par les Egyptiens.
[6] Denise n’a jamais reçu de photo du mari…