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De si longues Fiançailles
21 août 2020

Lettre de Denise à Philippe, Paris ce mardi 6 novembre 1934

Ne me gronde pas, Phil, je sais bien que tu es fâché contre moi parce que je ne t’ai pas écrit depuis plus de huit jours[1]. Mais écoute, ne sois pas trop fâché quand même. D’abord, pour t’attendrir, je vais t’apprendre que je me suis foulée la cheville une fois de plus dimanche dernier[2] ! (la gauche, celle qui avait eu un abcès avant que tu arrives…) Tu avoueras que je n’ai pas de chance. Heureusement, c’est moins grave qu’il y a deux ans. Ma cheville et mon pied sont toujours enflés mais je peux marcher quand même. J’ai glissé, il pleuvait et je me suis tordu le pied –c’est idiot, n’est-ce pas ? (il faut te dire que j’étais en retard et que je courais…) J’ai encore de la veine que ça se produise à côté de chez nous, et j’ai pu rentrer tant bien que mal, car ça me faisait un mal de chien. Ça va mieux maintenant, j’ai peur seulement d’avoir la cheville enflée pendant quelques jours encore.

La semaine dernière, j’ai vu Jacqueline (Tafforeau). Elle a trouvé, d’après les photos de Rosenberg, que tu avais du vieillir ! Elle ne te garde pas rancune et espère au contraire, que tu passeras par Paris avant de t’embarquer, aux environs du 15 janvier[3]… parce qu’on doit faire une surprise-party chez elle à cette époque, et comme elle suppose que tu portes un uniforme, elle est persuadée qu’avec celui de Rosé, ça ferait tout à fait magnifique…

Rosé 1937 le prestige de l'uniforme

A propos de Rosé, il s’entend, paraît-il, très bien avec Rivet –je croyais  ce dernier plus difficile dans le choix de ses relations ! (Je ne sais pas si je t’avais dit que Rivet est aussi à Saumur, dans la cavalerie).

Promotion 1935 St Cyr Saumur cavalerie on a retrouvé la trace de Rivet...!

Samedi soir, je suis allée dîner chez une amie, étudiante en droit, qui habite Paris avec son frère qui est avocat. C’était assez amusant parce qu’elle est maîtresse de maison, mais heureusement pour nous, elle avait commandé tout son dîner au dehors. Ce qui fait que j’ai très bien mangé ! Je suis invitée à aller chez ses parents pour Noël dans le Cantal[4]. Ça serait épatant parce qu’on peut faire du ski là-bas, mais c’est bientôt, et je n’aurai sûrement pas l’argent nécessaire pour m’acheter un équipement d’ici-là. Tant pis, ce sera pour plus tard !

Indu mène une vie exemplaire depuis qu’elle est chez la Baronne[5]. Elle ne sort que pour venir faire du français avec moi ou prendre des leçons de piano[6], et passe son temps à étudier la partition des poissons rouges dans les aquariums de Mme d’Encausse. C’est édifiant.

J’espérais que tu m’écrirais tout de même. Qu’est-ce que je dois accuser, ta paresse ou ton amour-propre ? Tu n’as pas honte de te lever à midi ? Moi, au moins, je me lève à onze heures… et je me couche plus tard que toi (ce soir, il est encore une heure).

Est-ce que tu sais quelque chose de nouveau au sujet de ton embarquement ? Tu dois commencer à avoir épuisé tous les charmes de Royan. Ecris-moi vite, vite pour me dire tout cela.

Phil je vais te quitter, je dois encore baigner mon pied dans l’eau chaude avant de me coucher. La moitié des gens  que j’ai consultés m’ayant conseillé des bains brûlants, et l’autre moitié des bains glacés, j’ai opté pour l’eau chaude, c’est plus agréable en cette saison.

P.S. :

-          inattendu ne prend qu’un n,

-          moment ne prend qu’un m,

-          occuper ne prend qu’un p.

Bon, tu vois, Phil, je sais ce que je te donnerai pour ta fête la prochaine fois : ce sera un bonnet d’âne !

J’au eu un article paru sur « Mon Ciné[7] » cette semaine, inspiré par les cinémas et le public de Royan.

Mon Ciné 1933   Mon Ciné 1936

La revue hebdomadaire "Mon Ciné", un numéro de 1933 et un autre de 1936


[1] C’est curieux car j’ai une lettre de Denise à Philippe du 3 novembre, assez courte, il est vrai. Peut-être ne la comptabilise-t-elle pas comme une « vraie lettre » ?

[2] Petite tare dont j’ai hérité de Denise…

[3] Cette surprise-party aura bien lieu, le samedi 12 janvier 1935 (cf lettre du 16 janvier), mais sans Philippe, et avec Rosé qui y fit un scandale avec le fils du Glaoui.

[4] Denise n’ira pas faire de ski à Noël dans le Cantal mais par contre, y passera le mois d’août 1935 dans un mystérieux château loué par une famille qu’elle connaissait, dont la fille s’appelait Blanchette. L’étudiante en droit, sœur d’un avocat parisien, est-elle Blanchette ? Pour l’instant, l’enquête est au point mort…

[5] Après le départ d’Amrita et de ses parents qui aura lieu le 16 novembre 1934, Indira restera seule à Paris. La baronne d’Encausse de Ganties a proposé à Indira de l’héberger le temps qu’elle résiderait à Paris. Ce séjour d’Indira durera une année, jusqu’au 7 novembre 1935.

[6] Les cours de français d’Indira sont donc assurés par Denise, quant aux cours de piano, c’est la très jeune pianiste prodige Edith Farnadi, amie intime d’Indira qui les prodigue.

[7] Soutenu par le groupe de presse Offenstadt, éditeur de bandes dessinées et de journaux pour enfants, Mon ciné, qui est le moins cher et le plus populaire des hebdomadaires du cinéma muet, rencontre immédiatement un succès considérable à sa sortie en 1924. Sa formule est la suivante : dans chaque numéro, on trouve deux films sous la forme de feuilletons, adaptés par des spécialistes du genre (dont Maurice Bessy), un film en image sur une double page (sorte de précurseur du roman-photo), plus des échos, une présentation des nouveaux films, et parfois un entretien avec un auteur ou un réalisateur, un article sur un aspect technique ou sur un métier du cinéma. La littérature romanesque, inspirée du cinéma, trouve ici son meilleur représentant. Face à la "crise", c'est le cinéma national qui est défendu et Mon ciné s'y emploie activement, en privilégiant le cinéma populaire, celui qui avant tout véhicule "l'émotion", valeur suprême selon la revue.

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