Lettre de Denise à Philippe, Paris, dimanche 18 novembre 1934

Phil, j’ai pensé beaucoup à toi aujourd’hui, tu sais, j’avais un si grand chagrin de te voir partir seul quand j’aurais tellement voulu t’accompagner pour t’empêcher d’avoir de la peine… Pierre (Bouzin) s’est aperçu, je crois, que j’étais triste et il est resté avec moi jusqu’à cinq heures, après m’avoir fait traverser Paris à pied pour me changer les idées, je suppose. Alors, ça a été moins dur au début, mais ce soir, vers dix heures, comme je pensais que tu devais arriver à Royan, j’étais tout à fait malheureuse parce que je sentais que tu l’étais aussi. Maintenant –il est minuit et demi- tu dois être couché et dormir, du moins, je l’espère, aussi cela me donne-t-il un peu de courage pour venir te parler.

Tu sais, j’ai bien réfléchi depuis ton départ, à toutes les choses dont nous avons parlé ensemble. Il me semble que tu ferais mieux de t’engager tout de suite[1].  Bien sûr, ça te ferait perdre six mois, mais tu seras débarrassé de ton service, et puisque, de toute façon, si tu entreprends d’autres études, elles n’auront rien de commun avec celles sue tu as faites jusqu’ici, ça n’a pas d’importance que tu t’arrêtes pendant dix-huit mois. Et puis, tu peux t’engager dans l’aviation et, si ça ne te déplait pas, transformer ton engagement de 18 mois en une autre de trois ans. Si tu t’engages, tu peux choisir ton centre, ou tout au moins te faire recommander pour en obtenir un qui te convienne. Parce que je ne te vois pas du tout passant l’année prochaine à Royan. Vraiment, il me semble que le mieux pour toi est de partir tout de suite, d’abord ça calmera ta mère qui doit être remontée contre toi pour le moment, et pour toi, ça vaudra mieux aussi, parce que si tu es tout à fait décidé à renoncer à la marine, tu n’en auras jamais le courage en restant à Royan. Et d’abord, un an et demi, ça passe assez vite et ça te donnera tout le temps de réfléchir, tandis qu’en huit jours, j’ai peur que tu prennes une décision trop brusque, que tu regretteras plus tard. Tu feras comme tu voudras, mais je t’en prie, pense à toi en premier. Je ne voudrais, pour rien au monde,  que ce soit ma pensée qui te fasse suivre une voie contraire à tes désirs : je t’aime assez pour vouloir ton bonheur plutôt que le mien.

Phil, cette fois, il est une heure et demie et j’ai très mal aux yeux. Je t’ai dit au hasard tout ce que j’avais dans la tête, fais-en ce que tu voudras.

        

Le Bleuet de France comme fleur symbolique des « morts pour la France » : la Nation veut témoigner de sa reconnaissance et venir en aide aux  hommes qui ont sacrifié leur jeunesse à défendre leur pays pendant la Grande Guerre. Le 11 novembre 1934, pour la première fois, 128. 000 bleuets sont vendus.

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[1] Une fois de plus, Philippe vient de se faire coller à son examen