Lettre de Denise à Philippe, Paris ce 16 janvier 1935

Je me demande si cette lettre te parviendra à temps, mais la semaine prochaine, je t’écrierai par avion. Alors, ça met seulement dix jours.

Je commence à trouver le temps long. Je sais bien que tu ne pouvais pas m’écrire, mais c’est tout de même un peu triste, tu comprends ? Aujourd’hui, tu dois être à Colón. Ce qui m’ennuie, c’est que je manque de notions  pour m’imaginer ce que tu fais.

Hier soir, je suis allée à l’Aéroclub  de France avec Simone, écouter une conférence de Mermoz sur l’Atlantique-Sud[1]. Il est encore plus épatant et sympathique que je me le figurais. Et puis on a passé un documentaire sur le trajet suivi par le courrier, et les premiers mètres du film représentaient Santiago du Chili. J’ai pensé que dans quelques jours tu y serais (ça se trouve à côté de Valparaiso, n’est-ce pas ?) Et, par une coïncidence curieuse, je me suis souvenue que j’avais déjà vu ce documentaire avec toi, à Royan, il y a un an ou deux. Tu te souviens ? L’avion-courrier avait un accident en Mauritanie, et à Royan, le film était incomplet, on ne voyait pas l’aviso.

            

Jean Mermoz en conférence                                                                               Notes de conférence de Jean Mermoz

Il y a eu une surprise-party chez Jacqueline (Tafforeau[2]) samedi dernier (le 12 janvier). Indu[3] y était, Simone et moi, et aussi Rosé[4]. C’était assez amusant, mais, naturellement, Rosé était ivre, à la fin, et il a fait une scène épouvantable au fils d’El Glaoui[5], le pacha de Marrakech, qui est un garçon très sympathique. J’étais très embêtée parce que c’était nous qui avions amené cet énergumène… (nous … c’est une façon de parler !). Il devient de plus en plus impossible et détraqué, et je ne veux plus sortir avec lui. C’était d’autant plus idiot de sa part que El Glaoui lui avait manifesté de la sympathie jusque là et devait le présenter à plusieurs personnalités… Il a eu absolument une crise de folie furieuse (pas El Glaoui, Rosé). J’aurais voulu que tu vois ça. Mais, au fait, ce n’était pas un très beau spectacle.

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[1] La photo ci-dessus représente des notes pour son EXPOSE SUR LE DEVELOPPEMENT DE LA LIGNE D'AMERIQUE DU SUD ET LA TRAVERSEE DE L'ATLANTIQUE POUR LE SERVICE POSTAL ET POUR DES PASSAGERS, AVEC UN PARALLELE ENTRE L'AVION ET L'HYDRAVION, ET LE RECIT DE SES TRAVERSEES. Ces notes ont été vendues aux enchères.

[1] Jacqueline Tafforeau (1914-2003)

[3] Indira Sher Gil, jeune sœur de la peintre Amrita Sher Gil. Elle est restée quelques mois  à Paris après le départ de sa sœur pour l’Inde.

[4] Lucien Rosé, éternel fiancé de la sœur de Denise et futur administrateur colonial

[5] De quel fils de Thami el  Glaoui s’agit-il ? Le Glaoui, pacha de Marrakech, eut 8 fils, certains légitimes, d’autres non, mais portant tous son nom. On peut d’emblée éliminer Hassan el Glaoui, le peintre, né en 1923 et beaucoup trop jeune en 1935. Si Brahim el Glaoui, né vers 1915, avait 20 ans en 1935, il pourrait s’agir de lui. Ce Brahim el Glaoui épousa en 1950 l’actrice Cécile Aubry et le couple donna naissance à Mehdi, le célèbre petit garçon de « Belle et Sébastien ».