Lettre de Marie-Antoinette Gottesmann Sher-Gil à Denise, Simla, 2-2-1935
Chère petite Denise
Excusez-moi, ma mignonne et belle enfant, mais vraiment, j’ai été si terriblement occupée à nettoyer cette « étable d’Augias[1] », qu’il fallait la force et le courage d’un Hercule –oh ! j’ai réussi aussi ! grâce au bon Dieu et à mes énergies concentrées au plus haut degré- Le résultat est parfait !
Amrita et les animaux d'étable... dessin figurant dans l'ouvrage de Baldoon Dhingra, Symphony of Peace (1938)
Et si jamais vous vous mariez avec Baldoon[2] (chose qui peut toujours arriver), vous verrez vous-même.
Cette petite maison à moi, personne ne la reconnaît plus.
J’ai ajouté deux chambres, entièrement refait les fenêtres et les portes –toutes ces laideurs comprimées[3]- et couvert tous les murs avec des tentures de laine colorées, mais chaque chambre ayant une couleur unie et avec le tapis vert cloué à la mode parisienne. Cela vous donne l’effet d’une prairie fleurie. Avec le beau soleil que nous commençons d’y avoir, l’effet est parfait, si beau que vous ne pourriez jamais vous imaginer… !
Mais je travaille et travaille 8 à 10 heures par jour et sans relâche et depuis 2 mois au moins avec 14 à 16 ouvriers (mais plus que 2 mois). Il me reste encore le jardin à faire, qui aura aussi sa métamorphose et sera embelli dans tous les sens. De son état de chrysalide en ce moment –il deviendra un papillon coloré. Au moment d’arrivée d’Amrita, j’ai aussi acheté une petite parcelle de terrain voisine à la mienne pour un Atelier.
Aimez toujours ma mignonne petite chère Indu[4] et je vous remercie pour votre si grande gentillesse de l’aider pour son français.
Mille baisers amicaux de votre vieille (ou jeune) amie Antoinette Sher-Gil
Portrait de Marie-Antoinette Gottesmann (1881-1948) par Amrita
[1] Marie-Antoinette, la mère d'Amrita et d'Indira, n’a pas tellement tort de parler d’étable au lieu d’écurie, car on peut lire : « Le cinquième travail d'Hercule fut de nettoyer, en un seul jour, les écuries (en fait plutôt des étables) d'Augias, qui étaient dans un état de saleté répugnante tant le fumier s'y était accumulé.
[2] Baldoon Dhingra (16 juin 1909- 7 juin 1979), poète, écrivain indien, ami d’Amrita et admirateur de sa peinture. Il lui consacra un ouvrage (1938). Ce « projet de mariage » entre Baldoon et Denise était un sujet favori de plaisanterie pour Amrita. Sa mère, qui avait la particularité d'aimer arranger les mariages, dit ici que si le mariage a lieu, Denise pourra voir comment elle a nettoyé le capharnaüm qui constituait son habitation à Simla.