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De si longues Fiançailles
7 octobre 2020

Lettre de Denise à Philippe, Royan, ce 9 octobre 1935

Phil, je ne t’écris pas étendue sur la plage aujourd’hui. Il fait assez mauvais et je me demande si je pourrais me baigner. C’est embêtant. Je me suis baignée seulement trois fois depuis mon arrivée.

Tu sais, c’est très ennuyeux, Royan sans toi. Je ne sais pas quoi faire pendant tout le jour, je me lève à onze heures, je vais sur la plage vers quatre heures –quand il fait beau, ce n’est pas tous les jours- je lis, je sors un peu le soir, je me couche… et le lendemain je recommence. Enfin, c’est une cure de repos. Et puis, j’ai eu tellement d’embêtements au mois d’août, que je suis presque contente maintenant.

Ça ne m’étonne pas, ce que tu me dis au sujet du « Voyage au bout de la nuit ». Je n’ai jamais eu le désir de le lire. En ce moment, je lis un livre, écrit aussi par un médecin, mais très différent de celui de Céline. Il s’appelle « Le Livre de San Michele[1] », et est plein de bonté et de pitié. Je le trouve très beau. Il est traduit du suédois et son auteur, Axel Munthe, après avoir été médecin à Paris et à Rome, s’est retiré dans l’île de Capri, où il vit encore. Mais il est vieux et aveugle. Ce n’est pas la peine que tu achètes ce livre, je te le prêterai en novembre quand tu reviendras, si je peux te voir.

le docteur Axel Munthe     Le Livre de San Michele Axel Munthe

 Le docteur Axel Munthe et son chef d'oeuvre, Le Livre de San Michele

Est-ce que tu as lu des livres de Thomas Mann ? Le mieux, c’est « La Montagne Magique ». Si tu le trouves, achète-le (Non, ne l’achète pas, je crois qu’il est assez cher. Moi, je peux l’avoir bien meilleur marché.)

Il paraît que tu as fait beaucoup de progrès en anglais. Sûrement, tu parleras couramment quand tu reviendras. Tu sais, les états du Sud des U.S.A. sont très pittoresques, surtout à cause des Noirs. Et La Havane aussi, c’est très joli –certainement beaucoup plus que les pays d’Amérique du Sud que tu connais. Mais tout de même, c’est dommage que tu n’ailles pas au Mexique.

Je voudrais bien que tu reviennes, Phil. Je trouve cette année terriblement longue. Pour m’encourager, je pense que l’an prochain, je te verrai davantage, mais pour l’instant, ce n’est pas drôle.

Est-ce que tu n’as pas pris de photos pendant ton dernier voyage ? Je t’en prie, envoie m’en, je serai si contente. Je t’en envoie trois, l’une prise à Gournay, une plage aux environs de Paris, pendant le mois de juillet, et l’autre dans ce sale pays d’Auvergne.

PS : envoie-moi des revues américaines de cinéma[2], tu me rendras service. Par exemple « Silver Screen » ou « Pictures Plays ».



[1] Le Livre de San Michele est un livre de souvenirs rédigé par le médecin suédois Axel Munthe (1857 - 1949) et publié pour la première fois en 1929. Écrit en anglais (Denise s’est trompée en affirmant qu’il avait été écrit en suédois), il a été un best-seller dans de nombreuses langues et a été constamment réédité pendant les sept décennies qui ont suivi sa parution. Munthe a grandi en Suède. À dix-sept ans, il faisait sur un bateau à voile un voyage qui comprenait une visite rapide dans l'île italienne de Capri. En gravissant les escaliers phéniciens menant au village d'Anacapri, il tomba sur une chapelle en ruine appartenant à un habitant du voisinage, Maestro Vincenzo, et rêva aussitôt d'acquérir cette propriété et de la restaurer. La chapelle, dédiée à saint Michel, avait été construite sur une partie des ruines de l'une des villas de l'empereur romain Tibère à Capri.

Munthe fit en France des études de médecine, puis ouvrit un cabinet médical, Avenue de Villiers à Paris. Par la suite il apporta son aide pendant l'épidémie de choléra de 1884 à Naples. En 1887, il réussit à acheter la chapelle en ruines, et, par la suite, passa la plus grande partie de sa vie à construire cette Villa San Michele à Capri. Il avait aussi un cabinet médical à Rome, pour l'aider à payer les travaux.

[2] Revues qui serviront à Denise à écrire des articles sur le cinéma américain.

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