Lettre de Philippe à Denise, Bordeaux, jeudi 13 février 1936

Cela fait 3 jours que j’ai reçu ta lettre et chaque soir j’ai remis au lendemain de t’écrire –mais ce soir je pense que tu me maudiras demain matin, quand le facteur sera passé et que tu n’auras rien reçu. Mais je vais d’abord te gronder : je ne saurais aimer une petite fille qui n’a pas de ressort moral –si tu n’es pas plus nerveuse qu’Indu[1], je vais me détacher de toi et mes hommages iront vers Simone- tant pis si je dois me battre en duel avec Rosé[2].

Tu sais que dimanche dernier, j’étais à Royan. J’ai rencontré M. Join qui m’a envoyé une petite flèche. Nous parlions de son fils qui est médecin colonial en Annam[3] et qui doit rester encore un an et ½ là-bas.

 une pharmacie indochinoise en 1935

« Mais quand il reviendra, il aura un congé d’un an. Peut-être qu’il se mariera… Et vous, n’allez-vous pas vous marier ? » Ainsi que tu le vois, c’était assez direct. J’aurais bien voulu pouvoir lui répondre simplement « oui ». Mais j’’ai dû me contenter de lui répondre que j’attendais d’avoir une situation stable pour ce faire.

J’ai reçu hier les journaux que tu m’as envoyés[4] et je t’en remercie. Je ne suis pas encore aller voir les Bonnot[5] mais je compte y aller la semaine prochaine.

Dis-moi, as-tu besoin d’argent bientôt ? Parce qu’en ce moment, je continue à être fauché et pour comble, la mère de la propriétaire de l’Ecurie[6] étant morte, le restaurant est fermé et dans les autres, on ne fait pas crédit de sorte que j’ai encore dû emprunter de l’argent !

Je t’enverrai les photos que tu m’as demandées la semaine prochaine. A propos de photo, je n’ai pas encore terminé le rouleau où sont celles de La Havane !

Je n’ai jamais lu les Simples Contes des Collines, ni d’ailleurs, en dehors de Kim et des Livres de la Jungle, aucun autre livre de Rudyard Kipling. Je n’ai, en plus de cela, guère plus de temps pour lire.

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[1] Indira Sher-Gil, repartie pour l’Inde en novembre 1935 et sujette à un tempérament dépressif.

[2] Lucien Rosé, fiancé de la sœur de Denise, qu’il épousera à la fin de l’année 36.

[3] L’Annam désigne le protectorat français de la partie centrale orientale de l’Indochine de 1883 à 1945.

[4] Lettre de Denise du 8 & 9 février 1936

[5] Le commandant Roger Bonnot, ami de la famille Dyvorne.

[6] L’Ecurie-Palace, 19 rue Sauteyron à Bordeaux, faisait restaurant, foyer pour les étudiants et Philippe y allait souvent. C’était son quartier-général.