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De si longues Fiançailles
30 octobre 2020

Lettre de Denise à Philippe, Paris, ce 19 février 1936

C’est sûrement toi qui es fâché maintenant, Phil chéri. Mais écoute, c’est ton tour aussi ! J’étais tellement triste parce que tu ne m’écrivais pas la semaine dernière. Je te traitais d’égoïste et je pensais que tu m’aimais moins que je t’aime. Et puis voilà qu’à mon tour, je n’ai pas pu t’écrire. Tu sais, je voulais le faire absolument hier, et puis, j’ai du sortir dans l’après-midi, et Simone est arrivée le soir. Alors, c’était tout à fait impossible. Mais tu me pardonnes, dis ? Je t’assure que ce sera la dernière fois.

Simone est revenue très contente d’Espagne où elle s’est très bien amusée. Mais elle dit qu’elle n’aimerait pas y habiter parce que les gens y sont trop excités et font trop de bruit. Dans les rues de Madrid, la nuit, c’est comme à Paris en plein jour. Alors, le jour, tu peux supposer ce que c’est !

Madrid Puerta del Sol Madrid, la Puerta del Sol

Mais tout de même, les gens sont plutôt sympathiques et bien moins voleurs qu’on lui avait dit. Seulement, ils mendient tout le temps et demandent des pourboires partout. Les femmes sont extrêmement jolies mais ils sont tous très mal habillés (tu sais ? pardessus mauve, pantalons bruns, cravate verte, chapeau bleu et souliers jaunes – il paraît que c’est le minimum des couleurs). Elle a même assisté à une bagarre politique : un communiste abattu à coups de révolver par un fasciste, à la Puerta del Sol. Et après, la police montée a chargé sabre au clair. Simone s’est réfugiée dans une porte cochère et a trouvé ça très intéressant. Mais les gens lui ont dit que ça n’avait rien d’extraordinaire, c’était un événement qui se produisait tous les jours, surtout en période d’élections.

Elle a vu mon amie[1], son mari[2] et leurs deux petits enfants.

Nena     1934 Nena de Bernalès

 Portraits de Nena de Bernalès                           1934

Le mari, il s’appelle Manolo, va peut-être passer à Paris dans une dizaine de jours, en revenant de la S.D.N.[3] car il est diplomate. Il paraît qu’il est très gentil mais emploie pour s’habiller, lui aussi, un nombre respectable de couleurs. Seulement, elles sont un peu plus discrètes (c’est à cela qu’on reconnaît les gens distingués). Mon amie m’a envoyé un éventail et Simone a reçu un bracelet de Tolède.

éventail cadeau de Néna de Bernalès  L'éventail offert "Pour ma chère petite Denise, souvenir très affectueux de sa vieille amie Nena

L’oncle de Nena est consul du Chili à Bordeaux (parce qu’elle est chilienne). Il s’appelle Hector de Bernalès et habite 41bis Cours de Verdun. Où cela se trouve-t-il ?

 41 bis cours de Verdun à Bordeaux  1936 02 19 calepin Josefina et Nena

1. L'oncle de Nena habite 41bis Cours de Verdun à Bordeaux

2. Calepin de Denise où l'on retrouve trace de Nena et de sa tante Josefina.

Comme il habite avec sa sœur[4],qui n’est pas mariée, et  que je connais, je dirai pour Pâques que je veux aller la voir.

1936 02 19 Josefina de Bernalès Larrain     la-residence-de-france-a-bucarest

Et comme cela, nous pourrons passer deux jours ensemble. J’arriverai par un train du soir et nous partirons pour Royan le surlendemain. Pour cela, il faudra que tu me dises exactement quand sont tes vacances.

Je n’ai pas besoin d’argent du tout. Je n’ai même pas encore été chercher l’argent du mandat. Il vaudrait mieux que tu en aies un peu au moment de Pâques, mais je pense que c’est plutôt inutile de te demander de faire des économies[5] ! Du reste, j’en aurai presque sûrement assez.

Je voudrais bien être plus vieille d’un mois et demi, je t’assure. Est-ce que tu crois que ça va passer, ces quarante-cinq jours ? Et quand nous serons ensemble, les jours défileront comme des minutes. C’est dégoûtant, tout de même, tu ne trouves pas ?

Envoie un mot à Isabel Moralès[6], elle ne m’écrit plus depuis ton passage à Liverpool ! 29 Sandon St, Off Upper Parliament Street, Liverpool 8.



[1] Il s’agit de Nena de Bernalès, (1907-1997), que nous retrouverons au cours de cette année 36, emportée dans la fureur de la guerre civile espagnole. Nena est un diminutif, son prénom était Marie-Antoinette (Maria Antonia).

[2] Le mari s’appelle don Manuel Bermudez de Castro. Ils ont un fils, Salvador, né en 1934. Un second fils, prénommé Jaime est né le 1er janvier 1935

[3] S.D.N. : Société des Nations, ancêtre de l’ONU

[4] Le texte est ambigu, on ne sait pas s’il s’agit de la sœur du consul ou de la sœur de NenaJosefina de Bernalès, surnommée Bernadette ou Nene (1900-1987). Après recherches, il s’avère que la sœur du consul s’appelait aussi Josefina de Bernalès Larrain, on donna ainsi un surnom à la nièce pour la distinguer de sa tante. 

[5] Une remarque émise comme une boutade, mais qui se révèlera cruellement vrai dans les années d’après-guerre…

[6] Isabel Moralès est une amie de Denise de la fin des années 20 lorsque la famille Moralès était venue s’installer à Paris. Elle est évoquée dans des lettres de 1935, le  1er et le 5 septembre, ainsi que le 16 décembre.

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