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De si longues Fiançailles
23 novembre 2020

Lettre de Philippe à Denise, Bordeaux, samedi 9 mai 1936

Excuse-moi de t’écrire sur ce papier mais c’est tout ce que j’ai pu trouver et si je sors, pour en acheter… je ne pourrai pas le payer.

Petite fille aimée, ta dernière lettre était très triste et j’ai bien compris que tu as du te disputer avec ta mère. Il ne faut pas avoir le cafard… évidemment, la vie que tu mènes à Paris ne doit pas être tous les jours très intéressante mais en ce moment, nous ne pouvons pas faire autre chose qu’attendre et penser aux jours à venir.

Pourtant, n’en veux pas à ta mère si tu crois qu’elle ne te comprend pas très bien. Il y a difficilement des terrains d’entente entre deux générations et je crois que la sienne et la tienne sont encore plus éloignées que jadis entre enfants et parents. Mais, puisqu’à cela, on ne peut rien, il faut songer que ta mère te laisse quand même beaucoup de liberté et que ce qu’elle cherche avant tout, c’est que tu sois heureuse.

J’ai reçu tout à l’heure la chemise et la cravate que tu m’as fait envoyer[1]. Je t’en remercie et voudrais t’embrasser pour cela. Demain, j’irai quand même courir une régate –le départ est dans la matinée et cela ne m’empêchera pas de travailler aujourd’hui ni demain soir.

Dominique Kleiner né en 1967 Jour de Régate  "Jour de régate", Dominique Kleiner (né en 1967)

Tout à l’heure, entendant un bruit formidable au-dessus de moi, je suis allé voir : trois camarades avaient enfermé un quatrième qui avait rendez-vous avec une jeune fille de la Maison d’Etudiantes et ils ne l’ont relâché qu’après qu’il eût parlé pendant ¼ d’heure sur … Socrate ! 

Gage parler un quart d'heure sur Socrate  Gage: parler pendant ¼ d’heure sur … Socrate !

Hier, je suis allé à la piscine et mercredi dernier aussi. Je m’entraîne sérieusement quand j’y suis et je sens que, réellement, cela me fait du bien.

Voilà, avec mon travail à l’école, dont je ne te parle pas, ma vie extérieure –celle que tout le monde voit. Elle est assez monotone, mais je n’y attache guère d’importance puisque lorsque je suis seul, je puis rêver de toi. Moi aussi, je pense aux dernières vacances de Pâques et à la dernière journée que nous avons passée ensemble. Hier soir, il y avait huit jours, tu étais ici, et je ne pouvais réaliser, je ne puis encore,  que si peu de temps se soit écoulé. Il me semble que j’ai rêvé ta présence avec plus de force que d’habitude.

Ne sois pas triste, il faut avoir confiance, et songer que s’il nous est difficile d’atteindre le bonheur, cela resserre davantage les liens qu’il existe entre nous. Songe aussi qu’il y a deux ans, nous ne pouvions fixer de date à notre union, tandis que maintenant, nous pouvons le faire.


[1] Denise parle de ce paquet envoyé sans mot d’explication  dans sa lettre du 10 mai.

 

 

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