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De si longues Fiançailles
25 novembre 2020

Lettre de Philippe à Denise, Bordeaux, 16 mai 1936

Chaque fois que je t’écris, ou presque, je le fais plus tard que j’aurais dû le faire. Il y a huit jours[1] que je t’ai écrit et je pense que le matin –ce matin- quand le facteur est passé et que tu n’as rien eu, tu étais très fâchée et un peu triste. Alors, je voudrais t’écrire des tas de choses, t’écrire deux lettres à la fois, et qu’elles soient déjà arrivées.

Dimanche dernier, j’ai couru cette régate dont je te parlais dans ma lettre et nous avons gagné. J’en ai été très content parce que nous avons battu un type insupportable, qui est très fier de son bateau et de lui-même –tout à fait sale mentalité bordelaise.

Lundi après-midi, je suis allé à bord d’un cargo de la Transat : « Cantal[2] », où se trouve embarqué Kervella, un lieutenant qui était avec moi sur « Indiana ». Ils descendent en Guyane.

Cantal de la CGT (1)  Cantal de la CGT (2)

 Deux vues du Cantal, cargo appartenant à la Compagnie Générale Transatlantique

J’ai appris que Debayle[3] –celui qui enfonce les portes- est nommé à Bordeaux, c'est-à-dire qu’il navigue sur un des deux paquebots qui fait Bordeaux-le Maroc. J’irai le voir un de ces jours.

Les autres jours ont passé, vides, sans incidents, l’école, l’Ecurie[4], le café, ma chambre.

J’ai reçu « Gens de Mer[5] » -il y a des choses réellement très bien  décrites et saisies- à un certain point de vue, il m’a fait penser à « Jeunesse » de Conrad –c’est je crois, le plus grand éloge que je puisse lui faire.

Conrad vs Peisson

J’ai reçu aussi les deux Aéro, mais tu as dû garder le premier article sur la Norvège –c’est sur le numéro du 1er mai- fais attention à ne pas le jeter puisque tu veux garder tout ce reportage.

Je croyais t’avoir déjà donné la pellicule et je viens de la retrouver après avoir cherché à peu près partout… sauf dans mon portefeuille.

Hier, c’était ta fête (la Ste Denise le 15 mai), j’y ai pensé mais c’est tout ce que j’ai pu faire -je n’ai pas pu, non plus, faire davantage de vœux pour ton bonheur que les autres jours- et d’ailleurs, ce ne sont pas des vœux qu’il me faut faire, mais des actes, puisque je crois que ton bonheur dépend de moi. Tu sais, je voudrais être plus vieux de deux mois et en avoir fini.

(Jean) Brachet est revenu de Paris avant-hier où il a passé 10 jours ; il n’est pas mécontent et aura ses résultats ce soir –il en a de la veine !

Ne m’en veux pas de mon silence de ces derniers jours et réponds-moi vite. Tu vois quelle est ma vie en ce moment et s’il n’y avait pas les pensées que j’ai pour toi, elle serait terriblement monotone.  Il y a des gestes que je faisais avant de te connaître et que je ne fais plus maintenant. Et puis, de savoir que c’est pour toi que je travaille, cela m’aide à vaincre ma paresse devant les livres.



[1] Lettre du 9 mai 1936

[2] CANTAL Cargo de la Compagnie Générale Transatlantique, construit en 1916 au Japon pour NAKAMURA GOSHI KK sous le nom de UNKAI MARU N°6.

Acquis par la TRANSAT le 7 mars 1917 en remplacement des pertes de guerre. Affecté en avril 1920 à la ligne des Antilles, en novembre 1921 à la nouvelle ligne Rouen, Alger, Tunis, puis revient sur celle des Antilles.

Le 6 mai 1938 entre Fort de France et Pointe à Pitre coule la goélette anglaise JANE VICTORIA et recueille ses sept membres d'équipage.

Le gouvernement allemand ayant autorisé la reprise du trafic commercial le 5 septembre 1940, affecté au ravitaillement des îles à partir de Marseille et Casablanca. Parti le 28 décembre de Fort de France avec quelques passagers et un chargement de rhum en fûts, d'ananas en boîtes, et de marchandises diverses, passant le même jour à proximité d'un convoi allié, est arraisonné par le croiseur auxiliaire HMS MARON et conduit à Gibraltar, atteint le 14 janvier 1941. L'équipage et les passagers sont transférés sur SAN FRANCISCO à destination de Marseille.

Réarmé sous pavillon anglais.

Le 3 mai 1941 à quai à Liverpool au cours d'un bombardement allemand, le feu dans un hangar voisin se communique au navire. Sérieusement endommagé, il est réparé puis remis en service.

Rendu aux autorités françaises après le débarquement de Normandie et armé sous pavillon français, en avarie de machines par gros temps au large de l'île de Wight, s'échoue près de Christchurch, non loin de Bournemouth le 17 novembre 1944.

Renfloué le 28 et remorqué en rade de Cowes.

Conduit le 22 décembre en rade de Netley puis passe en cale sèche pour réparations.

Revenu sous les couleurs de la Transat et affecté à la ligne Afrique du Nord- ports de la côte Atlantique en attendant la reconstitution de la flotte de la C.G.A.M., il est le premier navire à remonter jusqu'à Nantes le 23 avril 1945.

Vendu à la démolition en Grande Bretagne le 18 mars 1950. (d’après Forum Pages 14-18)

[3] Le lieutenant Debayle était sur l’Arizona (lettre du 20 août 1935), puis sur « Colombie » (lettre du 12 novembre 1935). Quant à « l’officier qui enfonce si bien les portes de cabines, l’affaire est évoquée le 1er mai 1935.

[4] L’Ecurie-Palace, foyer-restaurant bordelais fréquenté par Philippe et ses copains.

[5] Gens de Mer écrit par Édouard Peisson (1896-1963), écrivain français, spécialisé dans le roman maritime.

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