Lettre de Philippe à Denise, Bordeaux, dimanche 19 juillet 1936
Ma deuxième lettre avait dû te faire plaisir mais mon silence qui a suivi, mérite bien que tu me tires les cheveux. Depuis les résultats de l’écrit, j’ai fait des tas de choses. D’abord, je me suis mis à préparer l’oral, puis le 11, je suis parti avec Duval et Yves Durand pour la régate de Bordeaux-La Rochelle sur Anita.
L'Anita le 14 juillet 1936, lors de la régate de Bordeaux
Maurice Brachet qui passait son examen le 15 n’a pas pu venir. Je voulais t’envoyer une carte au moins de La Rochelle, mais … nous n’y sommes pas allés et après avoir mis le nez en dehors des passes à la pointe de la Coubre, nous avons fait demi-tour devant le mauvais temps et nous sommes rentrés à Bonne-Anse. Nous y sommes restés le dimanche et le lundi, sous la pluie, à pêcher, manger et dormir. Mardi matin, nous sommes rentrés à Royan et jeudi matin nous sommes repartis sur Bordeaux où nous sommes arrivés vendredi matin.
Yves dont la vue de Bonne-Anse avait ravivé les souvenirs, m’a parlé d’Indu et de ses beautés pendant toute une soirée et sans doute bien après que Duval et moi nous ayons sombré dans le sommeil.
Je passe mon oral vendredi prochain à Bordeaux. Je croyais t’avoir dit que c’était ici que je le passais. J’espère avoir fini samedi soir et avoir les résultats aussitôt. Je descendrai alors à Blaye aider Jean Brachet à armer le Mégophias et serai à Royan pour t’attendre à la gare le jour de ton arrivée. Quel sera-t-il ? Tu ne m’as pas dit ce que tu comptais dépenser par jour de pension. Ecris-moi vite de façon à ce que ma mère ait le temps de trouver quelque chose de bien pour toi.
Pardonne-moi mon silence –tu te vengeras quand tu seras à Royan mais d’ici là, écris-moi vite- J’ai découpé les articles sur le camping et je les enverrai demain. Est-ce que je t’ai envoyé les articles sur la Norvège ? Je ne les retrouve plus et pourtant je les avais découpés et mis de côté[1].
Ma mère est aujourd’hui dans l’île d’Oléron pour voir ce qu’elle va acheter. Elle a trouvé aussi une maison avec de la terre à St Seurin d’Uzet[2] qui est très bien située : on domine toute la Gironde.
St Seurin d'Uzet avec vue sur la Gironde
Mais je préfère quand même l’île. Sais-tu que ma mère m’a dit mardi dernier, quand je suis passé à la maison ? que si j’étais reçu, elle avait l’intention d’acheter un cabriolet Fiat. Je lui ai vivement conseillé de persévérer dans cette idée –car à mon point de vue, ce sera bien mieux que d’avoir un tandem cet été… et à ton point de vue ?
Le cabriolet Fiat 1935 espéré... ou, à défaut, se rabattre sur un tandem à Oléron?
Je vais te quitter, il est 6h½ et je suis resté à travailler tout l’après-midi. Toi tu as du aller au meeting d’aviation –c’était hier[3] ?
A propos d’aviation, je suis allé déjeuner il y a 8 jours mercredi chez Bonnot[4]. Ils ont acheté une propriété aux environs de Paris et vont s’y fixer. Yvonne m’a donné un porte-cigarette en cuir et Roger un briquet !
Je compte les jours qui nous séparent avec plus d’attention que ceux qui me séparent de l’oral.
[1] Tous ces articles proviennent de numéros de la revue Aéro que Denise a envoyés à Philippe.
[2] Saint-Seurin-d’Uzet est une ancienne commune du Sud-Ouest de la France, située dans le département de la Charente-Maritime . En 1965, elle a fusionné avec sa voisine Chenac-sur-Gironde pour former la commune de Chenac-Saint-Seurin-d'Uzet. Ses habitants sont appelés les Saint-Surinais
[3] Philippe se trompe de date, le meeting du Bourget était le dimanche précédent.
[4] Le commandant Roger Bonnot et son épouse Yvonne.