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De si longues Fiançailles
16 décembre 2020

Lettre de Nena de Bernalès à Denise, St Jean de Luz, 14 août 1936

                                                                                             

1936 08 14 Nena St Jean de Luz (1)  1936 08 14 Nena St Jean de Luz (2)

1936 08 14 Nena St Jean de Luz (3)  1936 08 14 Nena St Jean de Luz (4)

1936 08 14 Nena St Jean de Luz (5)  1936 08 14 Nena St Jean de Luz (6)

Villa Itsas-Argia[1]

                                                                                              Quartier Ste Barbe[2]

                                                                                              Saint-Jean de Luz

                                                                                              Basses-Pyrénées

Vue sur le quartier Sainte Barbe à St Jean de Luz Vue sur le quartier Ste Barbe

Ma petite Denise chérie,

A pine débarquée en France, je voulais t’écrire, afin de te donner de mes nouvelles, mais j’étais tellement triste et inquiète pour Manolo[3] et ma mère[4] qui étaient restés à Madrid que  vraiment, je n’avais la force que pour penser à eux et m’occuper de mes enfants, puisque ma nurse, comme tous les étrangers, avait évacué Saint-Sébastien. Figure-toi, nous y avions  loué un amour de petit appartement, afin de passer les vacances –et comme Dorcete[5] était tombé malade, le médecin me conseilla de sortir les enfants de Madrid le plus tôt possible.

Une semaine après notre installation, voilà que le mouvement éclate, qu’une vraie guerre civile se livre dans les rues de Saint-Sébastien et dans l’Espagne. Ainsi avons-nous vécu 10 jours sans mettre le nez dehors, les fenêtres et volets fermés, vivant dans le couloir, comme le lieu le plus sûr de la maison –réveillés à 3 heures du matin par les coups de fusil et de canon- et le feu durait toute la journée, presque jusqu’à 10 heures du soir, sans autre arrêt qu’aux heures des repas. Dans cette situation, un de nos amis, Jacques Paris, secrétaire à l’ambassade de France à Madrid, me téléphona de me préparer ainsi que les enfants, car il allait essayer de me faire passer sur un bateau de guerre français. En moins d’une heure, il vint –et nous voilà partis sur un camion « rouge », Jacques, un officier de marine, 3 ou 4 gardes rouges, l’attaché militaire, ma femme de chambre (qui ne voulait nullement rester seule à Saint-Sébastien, et que, d’ailleurs, je n’aurais jamais laissée), les enfants et moi. Le front populaire est très sévère et ne veut pas que les Espagnols sortent du pays –mais le Bon Dieu aidant- nous tous avons pu passer inaperçus, pour ainsi dire, au milieu de tous les membres de l’ambassade de France. Le bateau « L’Indomptable » est superbe –mais je ne pus guère jouir de la traversée car j’avais terriblement le mal de mer. Enfin nous sommes arrivés sains et saufs ici ; d’abord des amis belges ont été admirables de bonté et nous ont reçus chez eux les bras ouverts. Nous sommes restés là jusqu’à l’arrivée de Manolo, c'est-à-dire une dizaine de jours après. Il parvint à sortir de Madrid avec un permis spécial, emmenant son père[6] avec lui –par Valence, Barcelone, Toulouse, Bayonne- car l’autre voie est coupée par nos rebelles.

Salvador Bermudez de Castro y O'Lawlor 1863-1945

Juge de ma grande joie en voyant arriver Manolo car je croyais bien que je ne le reverrais plus ici-bas ! Le Bon Dieu ne cesse de me combler, car durant toute ma vie et les diverses circonstances difficiles que j’ai traversées, Il ne m’a jamais abandonnée, et en tout, j’ai vu la main de la Providence. A présent, nous avons loué un petit appartement, entouré d’un bout de jardin, bien agréable à cause des enfants. Ma femme de chambre nous fait tout, je l’aide à faire le ménage et je m’occupe entièrement des enfants, ce dont je suis vraiment ravie, mais en ce moment, parfois, ils me fatiguent, surtout lorsqu’ils sont désobéissants, car il me semble que je commence à attendre de nouveau un bébé. Ceci m’aurait enchanté à n’importe quel moment, excepté à présent, vu la responsabilité et les complications que cela représente, mais je ne veux pas trop m’attrister afin de ne pas accabler mon pauvre Manolo, qui a bien assez de soucis comme cela. Et puis… le Bon Dieu nous viendra en aide ! Si seulement c’était une fille ?...

De Maman, j’ai de temps en temps à autre des nouvelles, bonnes de santé, mais très tristes quoique courageuses. Il paraît que les vivres commencent à manquer… Ma belle-sœur[7] aussi se trouve à Madrid avec ses enfants et son mari, cela aussi nous peine. De ma sœur[8], je ne sais rien depuis le début, j’espère de toute mon âme qu’elle se trouve malgré tout bien. A présent, mon amie, à ton tour de me donner de tes nouvelles. Que fais-tu cet été ? Est-ce que ton beau-frère a réussi à son concours[9] ? Je le souhaite de tout cœur. As-tu eu des nouvelles de Nelly[10] ? Il y a bien longtemps que je lui ai écrit, mais peut-être que sa réponse se sera perdue. Tu seras bien gentille de me donner son adresse, car je l’ai laissée à St Sébastien et je ne la sais pas de mémoire. C’est ma tante Joséphine[11] qui m’a écrit en me disant que tu lui avais demandé de mes nouvelles –chérie, tu es un amour.

Bon, je cesse mon bavardage, mon respect à tes Parents, mille amitiés à Simone et à son fiancé, reçois-les de Manolo, ainsi que les caresses des enfants[12], quant à ta vieille amie, elle t’embrasse de tout son cœur.

Nena[13]

faire-part décès Salavador Bermudez de Castro y Bernalès à l'âge de 88 ans  décès de don Jaime Bermudez de Castro à l'âge de 86 ans



[1] Itsas Argia signifie en basque Lumière de la Mer.

[2] Sainte-Barbe-Lac à St Jean de Luz  est un quartier au paysage verdoyant et à l'ambiance animée, à la population aisée, propriétaire des logements.

[3] Manolo s’appelle don Manuel Bermudez de Castro y Sanchez de Toca, marquis de Lema.

[4] La maman de Nena se nomme Francisca Moreno y Pasquau Visso, épouse de Bernalès y Larrain (1884-1971)

[5] Dorcete est le petit nom donné à Salvador Bermudez de Castro, le fils aîné de Nena, né en 1932. A l’adolescence, il refusa qu’on continue à l’appeler Dorcete. Salvador, décédé en  2020, fit une carrière de diplomate espagnol (Londres, Buenos Aires, Chili, Guinée Equatoriale)

[6] Le père de Manolo est Salvador Bermúdez de Castro y O'Lawlor, 2e duc de Ripalda, marquis de Lema (1863 - 1945), noble espagnol , homme politique et avocat qui a été ministre d'État sous le règne d' Alphonse XIII .

[7] Il s’agit de María Victoria Bermúdez de Castro y Sánchez de Toca, épouse de José Sartorius Diez de Mendoza

[8] La sœur aînée de Nena s’appelle Josefina de Bernalès (1900-1987),  aussi et qu’on surnomme Bernadette ou Nene.

[9] Lucien Rosé, en perpétuelles sessions de rattrapage pour ses concours d’administrateur colonial.

[10] Nelly Zaky, l’amie égyptienne de Denise

[11] Josefina de Bernalès Larrain, à ne pas confondre avec la sœur de Nena. Elle habite Bordeaux avec son frère, consul du Chili. Voir sa lettre du 26 juillet 1936.

[12] En dehors de Salvador, l’aîné, Nena a un second fils, Jaime Bermudez de Castro, né en 1935.

[13] Nena s’appelle en réalité Maria Antonia Bernales Moreno (1907-1997), marquise de Lema.

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