Lettre de Denise à Philippe, Paris, 14 octobre 1936

 J’ai reçu tes deux lettres et j’ai pensé beaucoup à toi, Phil. C’est tout à fait affolant, la vie qu’on mène ici, tu sais : il y a des caisses, des malles et des objets jusqu’au plafond dans toutes les pièces, on ne peut même plus marcher[1]. Quant à l’heure des repas, il vaut mieux n’en pas parler : on se met péniblement à table à 9 heures ½ le soir. Qu’est-ce qu’ils diraient, tes parents ?

Je n’ai pas encore défait ma malle, faute de place, pour ranger mes affaires !

Aujourd’hui, j’ai acheté le cadeau de Simone : une combinaison brodée et une culotte en toile de soie blanche brodée de petits bouquets (je crois qu’elle les prendra le jour de son mariage), une chemise de nuit en voile imprimé et une autre en crêpe de chine bleu.

 une chemise de nuit en crêpe de chine bleu années 30

 Et six petits mouchoirs de poche très gentils. Ça faisait en tout 160 francs, comme cela, nous avons donné juste la même chose. Simone a été très contente, elle doit t’écrire pour te remercier.

Je me suis achetée un chapeau en feutre noir aujourd’hui. J’ai pensé à toi et je l’ai choisi le plus classique possible. C’est un petit Preston relevé de tous les côtés et garni seulement d’un ruban. Il est en taupé[2] très joli et fait très jeune.

       

Un chapeau noir Preston "feutre taupé", chanté par Aznavour en 1946 

Simone nous a offert –aux demoiselles d’honneur- des gants en métal argenté très jolis. Nous aurons aussi des souliers en argent et la robe est superbe.

      

 Séance chez le photographe pour Simone

C’est formidable le nombre de choses qu’ils emportent, ils ont déjà plus de cinq cents kilos.

Moi aussi, je suis bien contente que tout soit arrangé pour nous. Maintenant que c’est comme ça, je trouve que c’est tout naturel et j’ai oublié toutes mes peurs[3]… Mais je ne regrette pas d’avoir passé par là. Il me semble que je t’aime plus sérieusement maintenant. Je veux dire : en comprenant ce que je fais. Je voudrais bien qu’on se marie bientôt. Ça doit être amusant d’avoir une maison à soi, du linge, des meubles. Comme fait Simone en ce moment, mais en moins précipité.

Tu sais, je mets en écrit tout ce que je dépense ! Tu es contant de moi ?

Et toi ? Je pense que tu dois travailler plus sereinement, maintenant que tu n’as plus cette idée pour te tourmenter. Je voudrais pouvoir t’aider dans ton travail, mais j’ai l’impression que je te ferais plutôt perdre du temps.

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[1] Tout ce remue-ménage est causé par le prochain mariage de Simone. Le jeune coupe partira aussitôt pour l’Afrique, où Lucien rejoindra son premier poste.

[2] Taupé : Feutre d'aspect soyeux, confectionné avec des poils de lièvre, de taupe, ou de loutre.

[3] Allusion à la visite à la doctoresse