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De si longues Fiançailles
23 janvier 2021

Lettre de Philippe à Denise, Royan lundi soir 23 novembre 1936

Me voici rentré à Royan où j’ai trouvé une lettre de toi puis aujourd’hui, j’en ai reçu une autre, très longue et qui m’a fait beaucoup de plaisir. Il faudra continuer à m’écrire souvent, pour me raconter ainsi ce que tu fais au jour le jour. Il me semble alors que nous sommes plus près l’un de l’autre. Est-ce que tu ne t’en rends pas compte, toi aussi ?

Hier, je suis revenu de l’île (d’Oléron) à 4h. J’ai vu Mignot –nous sommes allés prendre l’apéritif et le soir, je me suis couché de bonne heure. Aujourd’hui, après une promenade traditionnelle, je suis allé voir un de mes anciens professeurs du collège pour lui demander des conseils pour « perfectionner ma culture mathématique ». Comme je suis obligé de naviguer, je veux que cela me serve et diminuer la différence que j’ai avec ceux sortis de Navale.

Je n’ai encore rien reçu de la Transat, mais je pense que ce sera pour cette semaine et que je serai à Paris la semaine prochaine.

J’ai acheté « Parti de Liverpool » et l’ai lu. Cela m’a bien plu. Ce que j’apprécie, dans tous ces bouquins de Peisson, c’est que l’on trouve de temps en temps un trait juste et caractéristique de la vie de bord et de la mentalité des marins.

1936 11 23 Edouard Peisson Parti de Liverpool roman sorti en 1932

Envoie-moi les photos de Rosenberg et je te les renverrai après avoir choisi celles que je veux et comme cela quand je passerai à Paris, je pourrai les prendre.

1935 Denise par Rosenberg (1)       1935 Denise par Rosenberg (2)

1935 Denise par Rosenberg (3)  Trois portraits de Denise par Werner Rosenberg (signés "Vero")

Je crois que pour ton jeune[1] dévoyé "moralement", il fallait surtout lui dire que cela n'avait pas grande importance. Tu pourras lui dire à la prochaine occasion, que de telles impressions arrivent à beaucoup d'autres garçons et que c'est surtout une question d'imagination -ça c'est certain- qu'il faut qu'il se trouve une occupation qui le prenne entièrement et ne lui laisse pas le temps de réfléchir, qui fatigue son corps et lui fouette le sang et un jour, il s'apercevra qu'il est parfaitement normal[2].

1936 11 30 Salengro est mort Le Populaire 19 novembre L'assassinat de Salengro (cf notes 1 & 2)

Ce qui se passe en Espagne n’est pas beau et il faut éviter que la même chose arrive en France. Je n’y crois d’ailleurs pas et je pense que la guerre nous évitera la guerre civile –mais je ne sais pas ce qui vaut le mieux. Si seulement tu n’habitais pas Paris –ou si tu pouvais le quitter. Pour cette raison-là aussi, je voudrais t’épouser le plus tôt possible.

Je sens comme toi l’absurdité à ne rien faire à 600 km l’un de l’autre. Désormais, je t’écrirai souvent et quand je naviguerai, il y aura une lettre pour toi à chaque escale.

Est-ce que tu fais de la culture physique le matin ? Et est-ce que tu te lèves tôt ? –c'est-à-dire entre 8h et 8h1/2. Si ce n’est pas  encore le cas, arme-toi de courage et commence à le faire. Je t’assure que cela vaudra mieux pour toi et tâche de te coucher avant 11h.



[1] Il s’agit du « petit Jean », angoissé par son attirance pour les garçons et qui s’est confié à Denise, qui, à son tour en a parlé à son médecin de famille. Pas plus d’informations sur le « petit Jean ». Nous sommes en 1936, les conseils ne manquent pas, les préjugés non plus.

[2]Coïncidence, quelques jours plus tôt : en 1936, Roger Salengro, homme politique socialiste alors ministre de l'intérieur du Front Populaire est l'objet d'une campagne infamante de la part de la presse d'extrême-droite en raison de son action contre les ligues. Elle l'accuse d'avoir déserté en 1915 (il avait en réalité été fait prisonnier), d'être ivrogne et homosexuel. Le journal de droite « Gringoire » le ridiculise en le surnommant « proprengro ». Il se suicide le 17 novembre 1936.

 

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