Lettre de Philippe à Denise, A bord (Rouen) 26 décembre 1936

Mon Noël à moi aussi n’a rien d’extraordinaire et la seule chose qui pouvait m’éviter d’avoir le cafard, c’était de penser à toi, très fort.

Nous ne sommes arrivés  que jeudi après-midi –nous avons été pris par la brume dans la rivière et nous sommes restés immobilisés pendant 15 heures.

 Brouillard en baie de Seine

Le premier lieutenant a débarqué aussitôt arrivé et son remplaçant est survenu –comme c’est celui que j’avais remplacé à Bordeaux, il avait gardé sa cabine et moi, j’ai déménagé pour prendre celle du 1^er lieutenant –et c’est jeudi soir que j’ai fait le déménagement. Maintenant, je suis mieux installé et j’ai une cabine et surtout une couchette plus grande. Je ne suis pas encore sorti –comme le second a sa femme qui est venue à Nantes, que l’autre lieutenant a des parents ici et que je n’ai guère l’esprit à sortir, je suis resté de service. Cet après-midi, j’irai en ville me faire couper les cheveux et faire quelques courses.

J’ai reçu une lettre de ma mère me disant de t’envoyer 2 cartes de visite à ajouter aux envois de fleurs dont elle t’a chargée[1].

 L'une des destinataires des fleurs est Jeanne Couraleau, qui a épousé en 1909 le ministre de la Marine Marchande en exercice, William Bertrand

Je ne sais si tu ne l’as pas déjà fait, en tous cas, je te les envoie.

Maintenant, moi aussi, je voudrai te faire faire une commission : veux-tu faire envoyer des fleurs à ta mère de ma part ? J’ajoute une 3^ème carte pour elle. Dis-moi combien cela t’aura coûté et je t’enverrai un mandat. D’ailleurs, je t’en enverrai dès que je vais avoir touché ma solde à St Malo, le 1^er juin pour que tu puisses venir.  Je crois que le voyage coûte 150 F. en 3^ème, mais il vaudra mieux que tu prennes des secondes et je t’enverrai 300 F. + le prix des fleurs. Nous resterons 3 ou 4 jours à St Malo.

Le prochain voyage sera sur Rouen, mais il paraît qu’on n’y reste pas longtemps et nous ne savons pas encore dans quel port nous irons avant Rouen.

Je viens de reprendre ma lettre –il est 4h et je vais sortir dans une heure. Je voudrais bien être déjà à St Malo ! Nous y serons, je l’espère vers le 3 janvier. Ne mange pas trop de bonbons et ne bois pas trop le 31 au soir afin d’être en bonne forme quand tu viendras !

Je blague un peu, mais si tu savais combien je suis las par moment. J’ai besoin, moi aussi de te voir pour reprendre le dessus ; d’ailleurs, tout cela est normal.

P.S. :      - Pour m’écrire à St Malo : « Martin », 

              - à Rotterdam, je ne sais pas si je t’ai donné l’adresse :  « Consignataires Réunis[2] ».

  

A Rotterdam, l'agent général des "Consignataires Réunis" est Jean Loranchet

 Jean Loranchet

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[1] Les deux cartes de visite étaient destinées à :

-           l’épouse du ministre William Bertrand, Jeanne Bertrand, née Couraleau, à Coudray-Macouard, dans le Maine-et-Loire.,

-           l’épouse du commandant Roger Bonnot, Yvonne Annette (1905-1956), née Hopfner, à Fley en Saône et Loire.

[2] De 1923 à 1939, c’est Jean Loranchet (1888-1966) qui occupa les fonctions d’Agent Général des Consignataires Réunis à Rotterdam. A noter que ce Jean Loranchet effectua en 1912-13 aux îles Kerguelen, sur le petit cotre LA CURIEUSE, avec le commandant Rallier du Baty, des explorations et recherches scientifiques qui furent déterminantes pour l’avenir de ce territoire français, dont il établit la carte, et dont une presqu’île porte son nom.