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De si longues Fiançailles
12 mars 2021

Lettre de Denise à Philippe, Paris, lundi 1er mars 1937

Il est presque huit heures du soir, je n’ai absolument pas pu t’écrire avant, je vais tout de même faire partir ma lettre, tu l’auras peut-être avant ton départ.

Je te donne d’abord des nouvelles de papa. L’analyse du sang, contre tout espoir, a donné un résultat excellent. Alors, la question de l’opération se pose. Mais elle est tellement grave que personne ne veut influencer mes parents. Maman est chez notre médecin en ce moment (le docteur Lehmann), mais je suis sûre qu’il ne lui dira rien du tout (bien qu’au fond, il soit pour l’opération) ; le chirurgien (le docteur Tailhefer) a dit qu’il n’avait jamais rencontré un cas pareil, et qu’il y avait 30% de chances que l’opération réussisse.

9 heures : Phil, j’ai été obligée de m’arrêter deux fois pour recevoir des gens qui sont venus prendre des nouvelles de Papa. Maman est revenue de chez notre docteur. Finalement, il lui a conseillé l’opération. Parce que, si on ne l’opère pas, son mal remontera, et quand ça atteindra le cœur, il mourra, après avoir souffert atrocement. Tandis qu’avec l’opération, il y a encore une chance pour qu’il s’en sorte.

Le chirurgien doit lui enlever demain un petit kyste qu’il a à la joue –pour voir si ça a la même origine. Et si ça marche, je pense qu’on l’opèrera dans le courant de la semaine prochaine.

Son état général n’est pas mauvais. Il mange assez bien et a très bon moral. Il a dit à Maman qu’il avait quatre-vingt-dix chances sur cent de s’en sortir. Heureusement !

Enfin, maintenant, il n’y a plus qu’à attendre Ecris-moi souvent, Phil.

Depuis hier, j’ai mal au ventre, mais je crois que c’est parce que je vais être indisposée et que j’ai pataugé dans la boue glacée. Si je ne le suis pas demain (indisposée), je commencerai à être affolée !

Je ne veux tout de même pas te parler seulement de choses aussi tristes. Je recevrai probablement les cadeaux d’Amri demain, mais surtout, ne te les fais pas confisquer à la douane !

Je suis encore obligée de m’arrêter pour diner. Tu n’auras jamais ma lettre demain.

Tant pis ! je finis, il est plus de minuit. C’est terrible, tout est désorganisé, on ne peut rien faire.

Tu sais, maintenant que je ne suis plus sûre du tout de pouvoir quitter Paris, il y a de la neige partout. Même en Alsace, les routes sont coupées et il y a 1m50 au Ballon d’Alsace ! C’est décourageant, tu ne trouves pas ?

enneigement au ballon d'Alsace Le Ballon d'Alsace enneigé, de nos jours

Je n’ai pas touché à ton argent. Pour le docteur, j’aime mieux attendre de t’avoir vu.

Phil, je serai tellement contente quand je serai auprès de toi ! Quand débarqueras-tu ? Je pense vers le 20 (mars), ça ne fait même pas trois semaines, ce sera vite passé maintenant –d’autant plus que beaucoup de choses auront lieu d’ici là.  Ecris-moi le plus souvent que tu pourras, même si je ne te réponds pas régulièrement. Une fois l’opération tout à fait décidée, je crois qu’elle se fera très vite –et alors, ce sera sûrement très pénible. Cela me fera du bien de recevoir tes lettres.

Tu ne me dis pas où tu vas en quittant Rouen. À Port-Talbot ? C’est là que je t’écrirai si je ne reçois rien de toi. Avant de revenir définitivement d’Angleterre, rapporte-moi quelques revues, je te prie. Si tu vas à Rotterdam, j’espère que tu verras un peu plus le paysage que la première fois.

Je te quitte, je suis très fatiguée. La clinique est aux environs de Paris[1], et je suis toujours dans le train parce que je ne veux pas manquer mes leçons d’anglais et d’espagnol, ni la culture physique trop souvent.

1937 03 01 calepin Julie dans le calepin de Julie, les frais de transpport de Denise



[1] J’avais émis l’hypothèse que cette clinique était située à Meudon, mais  c’est en réalité à Courbevoie (lettre du 4 mars). 

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