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De si longues Fiançailles
30 mars 2021

Lettre d’Amrita à Denise, The Holme -Simla, 5 avril 1937

1937 04 05 Amrita (1)  1937 04 05 Amrita (2)

1937 04 05 Amrita (3)   1937 04 05 Amrita (4)

Ma chère Denise

Je me hâte de répondre à votre lettre : c’est terriblement ennuyeux à propos du Salon, je ne sais pas s’il y a encore le temps pour les Tuileries mais je viens d’écrire à Monsieur Prinet[1] qui pourra peut-être arranger la chose.

Autoportrait René-Xavier Prinet 1910

J’espère que les tableaux arriveront car le prospectus m’étant parvenu trop tard, j’ai envoyé les tableaux à Robinot Frères, Grand Palais, Porte B, comme auparavant au lieu de 91bis rue du Cherche-Midi !

Robinot Frères  Robinot Frères (2)

 Avant                                                                      Après

Ayez la gentillesse de vous informer de cela. J’ai écrit à Monsieur Prinet que vous irez le voir. Pour ne pas perdre de temps, demandez-lui s’il est possible (dans le cas où il puisse s’arranger pour une invitation aux Tuileries) que ce soit vous qui remplirez la Notice, mais si ma signature est nécessaire, qu’il la fasse envoyer par avion à  mon adresse à Simla.  Mon adresse est  5 rue du Boccador[2], Paris VIIIème.

Paulette Rixens La lecture 1908   1934 Léa Rixens Etude au pastel

 Au 5 rue du Boccador vivaient aussi les soeurs Rixens, Paulette (Lecture, 1908) et Léa (Etude, 1934)

Roseman[3] est un voleur en effet. Si j’avais su qu’il ne fait pas le catalogue cette année, je n’aurais jamais fait photographier les tableaux chez lui.

Roseman Chevaux et cavalier estimation 2

Il y a un photographe rue Varrin[4] (sic) qui travaille bien et qui est très bon marché.

La pittoresque rue Eugène Varlin dans le Xe

 Encore deux choses, ma pauvre Denise, dont je vous prie de vous occuper.

1937 Water carriers by the see  1937 Femmes et Enfants de Travancore ou Fruit Vendors

Deux oeuvres de 1937: Porteurs d'Eau et Femmes et Enfants de Travancore

1937 Porteurs d'eau au Salon au Catalogue du Salon

 Je veux exposer le tableau intitulé Porteurs d’Eau[5] (Je vous ai envoyé une coupure du journal sur lequel il était reproduit, ainsi, vous le reconnaîtrez) au Salon de la Nationale, et l’autre, « Femmes et Enfants de Travancore » aux Tuileries (ils n’ont pas été vernis encore, et comme ça fait beaucoup de différence, je vous prie de les vernir avec le « Vernis à Tableau de Vibert » (vous le trouverez chez n’importe quel fournisseur de couleurs d’artiste, rue de la Grande-Chaumière).

le vernis-à-tableau de Vibert existe toujours

Ah, je viens de me rappeler le nom du magasin où je vous ai dit que vous trouverez des reproductions Castelucho[6], rue de la Grande-Chaumière.

au 14 de la rue de la Grande- Chaumière La Grande-Chaumière était au n°16, le magasin d'Antonio Castelucho au n°14. Anntonio était le fils de Claudio Castelucho, professeur à la Grande-Chaumière et artiste reconnu

C’est gentil de votre part d’avoir pris tellement de soin à me procurer Noa Noa[7]. Ne vous dérangez pas davantage.

En parlant des livres : je vous enverrai l’autre biographie de Jawaharlal Nehru, « The uncrowned King of India », comme on l’appelle, par poste ordinaire, cette semaine. Vous savez, je l’ai rencontré à Delhi pendant que j’étais là-bas. C’est un type extraordinairement beau et absolument charmant.

Jawaharlal Nehru vers 50 ans Nehru vers 50 ans

J’étais présente à un diner où il était invité et ça va sans dire que j’étais terriblement émue à l’idée de le rencontrer. Et puis, figurez-vous, quand il est arrivé, il est venu tout droit vers moi et, me tendant la main, il m’a dit d’une manière très simple: « Permettez-moi de me présenter ». Sur quoi, j’ai eu juste la présence d’esprit de balbutier : « Vous n’avez pas besoin de vous présenter. »

«  J’ai tellement entendu parler de vous…, continua-t-il, …et j’ai lu tant d’articles sur votre peinture que j’avais grande envie de vous connaître ! »

Le lendemain, il est venu voir mon exposition et il est resté plus de deux heures avec moi.

Il est parti de Delhi le lendemain.

Je viens de recevoir de lui une longue lettre.

J’ai rencontré le Colonel et Madame Lindbergh deux jours après, mais, quoiqu’ils étaient très gentils, ils perdaient beaucoup de leur intérêt à côté du grand Jawaharlal Nehru.

Charles Lindbergh 1902-74 et Anne Morrow Lindbergh 1906-2001 en 1930 Anne Morrow et Charles Lindbergh peu après leur mariage

La maladie de votre père a du être terrible pour vous tous. Il semble être un homme extraordinairement courageux.

Est-ce qu’on a du lui couper le bras aussi?

C’est tragique.

J’espère quand même que ça va mieux. C’est à ces moments-là que la force ou la faiblesse véritable des gens se révèlent.  

Quand vous rencontrerez Marie-Louise, donnez-moi de ses nouvelles[8].

Artistes proches d'Amrita et élèves de Lucien Simon

Quelques artistes proches d'Amrita et ayant suivi les cours de Lucien Simon

Je suis contente que vous n’ayez pas du payer des impôts pour les bagues[9]. Oui elles sont vraiment superbes. J’ai une véritable passion pour les bijoux du Tibet. J’en ai un tas, de boucles d’oreilles (à propos, portez-vous des boucles d’oreilles[10] ?), des pendentifs, des amulettes, des bagues.

La grande bague de turquoise, surtout, est très belle, vous ne trouvez pas ?

Je vous quitte, autrement, je manquerai la poste.

Bien affectueusement,                                                               Amri

P.S. : Je ne suis pas coupable de l’inscription idiote et d’ailleurs fausse qu’il n’y a que trois femmes au monde à être associées du Salon dont je fais partie, qu’il y a sous la photo dans la revue que je vous ai envoyée.

Indu « contemple[11] » d’accorder sa main à un colonel du service médical Hindou d’âge moyen mais bien conservé[12].

Entre autres, elle teint ses cheveux en roux[13] en ce moment.



[1] René-Xavier Prinet (1861-1946) est un peintre et illustrateur français. Il suit des cours dans divers ateliers parisiens, dont l’Académie Julian. Il se lie vers 1890 avec un groupe de jeunes peintres appelé la Bande noire, dont fait partie Lucien Simon, qui créera lui-même un atelier que fréquentera Amrita Sher-Gil. Prinet devient professeur aux Beaux-Arts de Paris où il crée et dirige le premier atelier destiné aux artistes femmes. L'année 1904 voit la création, avec Lucien Simon et Antoine Bourdelle, des ateliers de l'Académie de la Grande Chaumière. En 1937, Prinet expose au 1er Salon national indépendant fondé par André Dauchez. Par ailleurs, Prinet logeait au n°5 rue du Boccador, adresse qu’Amrita donne comme domicile pour s’inscrire au Salon.

[2] Au 5 rue du Boccador, vivait également un peintre assez renommé, Jean-André Rixens. Il est décédé en 1925, mais deux de ses filles, Paulette Rixens, née vers 1890, et Léa Rixens, sa cadette, sont devenues artistes-peintres à leur tour. Léa, la plus jeune, a pu rencontrer Amrita au cours de son séjour parisien, en particulier au Salon des Beaux-Arts de 34, où elles exposaient toutes les deux.

[3] Il s’agit d’Isa Roseman (1877-1957), qui a utilisé aussi le pseudonyme de Jean Roman (un peu comme Werner Rosenberg qui avait choisi VERO comme signature). Ce photographe et peintre, né en Russie, naturalisé français (Jean Roseman), a exposé à partir de 1904 aux Artistes français. En ce qui concerne la remarque d’Amrita, on peut penser que Roseman n’avait plus en 1937 le contrat qui lui avait permis de photographier les œuvres pour les catalogues des Salons artistiques les années précédentes.

[4] La rue « Varrin » n’existe pas… En réalité, il y a à Paris une rue Eugène Varlin, elle-même souvent appelée, à tort rue Varin, du nom d’un Communard belge, Eugène Varlin.

[5] Voici ce qu’il est dit sur cette œuvre (traduction de l’anglais) : « 13 janvier 1937, Amrita visite Cap Comorin, où le Mahatma Gandhi fait un discours. Elle fait sa rencontre et peint « Femmes et enfants de Travancore », tableau baptisé plus tard « Vendeurs de fruits », qu’elle enverra au Salon, ainsi que « Porteurs d’Eau au bord de mer » qui deviendra « Femmes sur la Plage ».

[6] « En ouvrant le journal L’Humanité du 28 avril 1937, Picasso découvre, horrifié, les photos de la ville basque de Guernica réduite en cendres par le bombardement d’avions allemands et italiens deux jours plus tôt. Il passe commande d’une toile de près de 8 mètres de long par 3,5 de haut à un artisan catalan qu’il a connu en Espagne : Antonio Castelucho. Celui-ci tient boutique au 16 de la rue de la Grande-Chaumière, dans le 6e arrondissement de Paris, près du quartier Montparnasse. Son échoppe, tout en contrastes clair-obscur, est chérie des peintres espagnols exilés à Paris. C’est là que commence l’histoire de Guernica, dont on célèbre en mai 2017 le 80e anniversaire. Les Castelucho sont les premiers marchands d’art à s’être établis dans cette rue qui, au milieu du XXe siècle, en comptera jusqu’à cinq. A cette époque, le Tout-Paris des artistes était descendu de Montmartre vers la rive gauche et Montparnasse. La rue de la Grande-Chaumière était la plus concentrée d’Europe en boutique de beaux-arts. Il y avait Castelucho, Gattegno, Morin et Janet, Chautard et la maison Sennelier. » (Article d’Albert Marie dans Le Monde du 26 avril 2017)

[7] Finalement, Denise trouvera l’ouvrage de Gauguin et l’enverra à Amrita (lettre du 6 mai 1937)

[8] Marie-Louise Chassany (1911-39), peintre, partagea l’atelier avec Amrita, on leur attribua une liaison . La question d’Amrita démontre qu’Amrita ne conserva pas de lien épistolaire avec Marie-Louise après son départ pour les Indes. J’ignore si elle apprit son décès  deux ans plus tard.

[9] Des bijoux en argent envoyés à Denise par Amrita

[10] Cette question d’Amrita m’a fait sourire car elle m’a rappelé un détail sur ma mère : Denise n’aimait pas ses lobes d’oreille, elle les trouvait trop petits. Elle n’avait pas les oreilles percées pour cette raison et ne portait que très rarement des boucles d’oreilles.

[11] Indu réfléchit à accorder…

[12] Le « futur » est Kalyan Sundaram, veuf et de dix ans l’ainé d’Indira.

[13] Indira s’est très certainement teint les cheveux au henné, poudre  utilisée de longue date en Inde car utilisée dans la médecine ayurvédique pour ses bienfaits capillaires.

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