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De si longues Fiançailles
14 avril 2021

Lettre de Denise à Philippe, Paris, ce 19 mai 1937

Phil, moi aussi, j’ai eu beaucoup de peine de ne pas te voir. Dimanche, je suis restée à la maison toute la journée dans l’espoir que tu avais pu partir au dernier moment et que tu allais arriver[1]. Enfin, tant pis ! Ce sera pour une autre fois. Est-ce que tu n’auras pas une permission quand tu iras à Hourtin ? C’est aux environs du 14 juillet, je crois.

Quand sauras-tu si tu peux y aller ? Depuis que tu m’as dit que nous resterions là six mois après que nous serons mariés, j’ai envie que tu y ailles. Il me semble que ça rapprochera le moment de notre mariage. Encore onze mois[2]! Je me demande dans quel état nous serons tous les deux dans onze mois…

Tu sais, tu dois faire un effort pour m’écrire plus souvent. Depuis que tu es à Toulon, j’ai reçu en moyenne une lettre tous les quinze jours ! (sans compter les dernières cartes) Je ne suis pas fâchée contre toi, mais je ne pense pas que tu veuilles que je sois tout à fait malade, dis ? Et je t’assure, c’est exactement l’effet que ça me produit, je ne suis déjà pas très brillante.

Papa va très bien, on lui a donné ta carte. Son phlegmon et son escarre sont finis à peu près, on peut maintenant le coucher sur le dos depuis quelques  jours. Et il a bon appétit. Quant aux plaies, elles sont aussi bien que possible. Mais je ne pense tout de même pas qu’il rentre à la maison avant le 1er juillet, sa jambe ne sera sûrement pas fermée d’ici là. Du reste, il est très bien habitué à la clinique et ne s’y ennuie pas.

As-tu écrit à Stosswihr ?

Je suis affolée quand je songe que c’est moi qui aurais à écrire toutes les lettres quand nous serons mariés !

J’ai reçu ce matin des nouvelles de ma petite amie de Colombie, tu sais, celle qui me demandait si on devait être follement amoureuse de son futur mari pour l’épouser. Eh bien, elle est mariée ! Elle a épousé son novio[3] –celui qu’elle n’était pas sûre « d’aimer assez follement ». Ça s’est fait d’une façon encore plus précipitée que pour Simone, et pour la même raison, il devait partir. Ils ont été fiancés officiellement neuf jours ! Enfin, il paraît que c’est une merveille, un ange ou quelque chose d’approchant. (Il faut te dire qu’elle m’a écrit après une semaine de mariage…) Ils partent pour Costa-Rica. J’espère qu’elle aura plus de chance que mes autres amies, à part Nena, c’était plutôt catastrophique[4]. Il s’appelle Hector !

1936 08 31 Bogota Emma Izquierdo   1937 04 23 Cartaguna Bogota Hector Castillo Rey

Le jeune couple colombien, Emma Izquierdo et Hector de Castillo Rey

Je ne peux pas te dire ce que je fais –parce que vraiment, ce n’est presque rien. Je vais à peu près régulièrement à l’anglais et à l’espagnol. Les cours finissent en juin. A la piscine une fois par semaine, et à la clinique, naturellement. Je vis dans une sorte de torpeur qui commence à m’inquiéter. Je n’ai pas écrit une ligne depuis Pâques, pas vu un chat –quoique j’aie plusieurs visites à faire depuis des mois. Je n’ai même pas la force de répondre aux gens qui m’écrivent.

Je vais être obligée de te quitter. Je veux allez à la culture physique, c’est le dernier jour aujourd’hui et je vais tâcher de prendre rendez-vous pour aller à l’aviron samedi après-midi. Ça me fera peut-être du bien.

Raconte-moi tout ce que tu fais. Tu as tout de même un peu de veine d’être en plein air, d’avoir du soleil (ici, il pleut tout le temps) et de pouvoir te baigner quelquefois dans la mer ! Est-ce que vous êtes nombreux pour aller à Hourtin ?

J’ai répondu à ta mère. Je l’ai remerciée de son invitation pour les vacances, mais je lui ai dit que je ne savais pas encore ce que je ferai. Papa ne pourra certainement pas quitter Paris avant le 1er octobre et n’ira pas à Royan, où il n’y a pas de jardin. Je lui ai dit que j’irai sûrement  pour te voir quand tu auras une permission vers le 15 octobre, mais qu’avant, il y avait beaucoup de chances que je reste à Paris.

Réponds-moi vite, je t’en prie.

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ADDITIF

Emma Izquierdo est une jeune Colombienne qui a connu Denise à Paris à la fin des années 1920 ; puis elle rentra dans son pays, à Bogota. Elle y rencontra un certain Jorge, mais leurs fiançailles tournèrent court. Depuis Emma était resté très méfiante, c’est pourquoi la nouvelle de son mariage avec Hector est une grande surprise pour Denise :

 1937 04 23 lettre d'Emma Izqierdo 01 1937 04 23 lettre d'Emma Izqierdo 02 1937 04 23 lettre d'Emma Izqierdo 03 1937 04 23 lettre d'Emma Izqierdo 04

Lettre d’Emma Izquierdo à Denise                                  Cartagena, le 23 avril 1937

Ma Denyse bien chérie,

Tu vas frissonner quand je t’apprendrai la nouvelle : je suis mariée. Ce bonheur s’est réalisé rapidement. Je n’étais même pas fiancée quand Hector devait partir pour l’étranger et nous avons pensé qu’au lieu de souffrir beaucoup en nous séparant, il était mieux de partir ensemble. Ce sept avril, nous nous sommes fiancés officiellement ; j’ai préparé mon trousseau à une vitesse folle et le vendredi 16 avril, nous étions mariés. La cérémonie religieuse a été très simple car cela ne faisait qu’un mois que mon bon-papa était décédé. Le déjeuner fut très bon, mais il n’y avait que la famille de mon mari et la mienne. Ma robe était très élégante, je t’enverrai une photo.

Nous sommes à présent au Nord de la Colombie, sur la côte atlantique. Nous irons par mer à Panama et puis au Costa-Rica, où mon mari ira négocier des émeraudes

 Prochainement, je t’enverrai notre adresse.

Je t’envoie une petite photo de lui, bien jeune, aimable, « condescendant culte[1] », généreux…

Tu peux imaginer combien je suis heureuse.

Nous sommes venus en avion de Bogota à Borangvilla, un grand centre moderne, et de là, à Cartagena[2] en hydravion.

Borang Villa

Cette dernière ville est très ancienne, coloniale, remarquable par ses portes, ses châteaux féodaux, ses murailles magnifiques et historiques ; toutes ses maisons sont de style espagnol.

Cartagena Bolívar Colombie

Je ne perds pas espoir d’aller un jour dans ton beau pays.

Je te prie d’accepter les meilleurs compliments de mon mari bien aimé ainsi que mes plus chers baisers.

Ton amie qui ne t’oublie jamais

Emma de Castillo

 


[1] Il manque ici un maillon dans la correspondance : lettre ou télégramme perdu annonçant que Philippe avait décroché une permission de dernière minute.

[2] Naturellement, les projets de Denise s’écrouleront comme châteaux de cartes, Philippe n’ira pas à Hourtin… Sur un point, elle a à peu près raison, leur mariage se déroulera bien en 1938, mais après bien des péripéties.

[3] Novio : fiancé en espagnol.

[4] Nena de Bernalès a épousé un diplomate et semble heureuse avec lui, mais ils ont été emportés dans le tourbillon de la guerre d’Espagne et Denise est sans nouvelles d’eux. Nelly Zaki a fait un beau mariage en Egypte mais a été très vite abandonnée par son mari, qui était sous la coupe de sa mère. Chiffon (Denise Dunesme) a déjà divorcé de son premier mari.

[5] C’est cette expression bizarre que Denise a traduite par « beau comme un ange »

[6] Il existe deux Cartagena, ce qui prête à confusion, puisque Emma parle du Costa-Rica, où se trouve une petite ville de Cartagena, dans la province de Guanacaste. Mais en raison de la description détaillée qu’elle fait d’une ville ancienne et coloniale, il s’agit plutôt de la célèbre Carthagène, dite « Cartagena de Indias », située en Colombie, sur la côte Nord, au bord des Caraïbes, fondée en 1533.

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