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De si longues Fiançailles
27 avril 2021

Lettre de Philippe à Denise, Condorcet le 26 juin 1937

Je viens de t’écrire une lettre et je l’ai déchirée en la relisant parce qu’il m’a semblé ne pas avoir assez bien exprimé toutes mes pensées.

Je te remercie beaucoup de m’avoir envoyé cette revue[1]. Je n’ai pas lu un seul livre depuis que je suis arrivé à Toulon, alors cette revue m’a ramené vers le monde extérieur –très loin de la vie que je mène et dont je ne m’échappe guère, sauf peut-être quand je suis dans l’eau. Et puis, j’ai revu avec plus de force la vallée de Munster, et la petite vallée, et les jours que nous y avons passés. Si tu savais combien je désire retourner là-bas. J’ai envoyé il y a longtemps déjà les photos à Berry (Albert Zinglé[2]) qui m’a répondu. Je t’enverrai sa lettre et, si tu veux, la lettre de ma mère que tu m’as envoyée il y a quelque temps. Dans celle-ci, je t’envoie des photos avec le masque à gaz –il y a quelque temps, nous sommes passés dans une salle spéciale où l’on a tiré des cartouches de gaz et nous y sommes restés pendant un quart d’heure.

1937 06 26 Condorcet exercice de débarquement  1937 06 26 Condorcet exercices de débarquement (2)

 Exercices avec masques à gaz, juin 1937

 1937 06 26 Condorcet exercices de débarquement Philippe à gauche  1937 06 26 Condorcet Philippe 2ème droite

Il y a aussi une photo où je suis étendu sur le sable et qui te plaira j’espère. Dans quelques jours, je pense en avoir une autre prise à Bord. Celle où je suis en costume de bain est prise au Rayol, un petit coin tranquille où je vais de temps en temps.

1937 06 26 Condorcet Philippe le Rayol Plage du Rayol

Notre examen de trois mois a été avancé de 15 jours et nous avons commencé mercredi –nous aurons sans doute fini dans 8 jours. Il compte pour moitié dans l’examen d’aspirant qui aura lieu du 1er au 10 octobre. A ce moment-là, nous aurons les résultats. Aussitôt fini, nous partirons en permission. Tu seras à Royan et dès que j’arriverai, nous partirons pour l’île d’Oléron. Ce sera le début d’une nouvelle vie pour nous deux, car je pense que nous avons en ce moment notre dernière grande séparation. Comme aspirant, je ne puis que demander Toulon ou Brest mais, quel que soit le port, je pourrai aller plus facilement à Paris.

Je ne crois pas avoir de permission avant le 10 octobre, mais si tu savais tout ce que nous avons à faire et à apprendre au cours de ces six mois, tu comprendrais qu’on ne peut pas nous donner de permission. Ce n’est plus ce que faisait Lucien[3], et nos journées sont bien remplies. Toute cette semaine, je me suis couché à 11 heures du soir pour me lever  à 5h1/2 le matin et dans la journée, nous n’arrêtons guère. Je ne suis pas le seul à vouloir rester dans la marine de guerre mais nous ne sommes pas plus de 5 ou 6. Carus est de ceux-là. Son père[4] était à Royan commandant de l’école Caudron[5] mais à cause de ses opinions politiques, Cot[6] l’a fait débarquer et il est installé près de Nice, à Cros-de-Cagne.

Tu ne me donnes pas de nouvelles de ton père. Est-ce que bientôt il pourra retourner à la maison ? et ta tante[7] ? Dis à tes parents que je me rappelle à leur bon souvenir.

 


[1] Il s’agit du numéro du 22 mai 1937 de La Revue Hebdomadaire, qui contenait un long reportage sur le docteur Schweitzer (lettre du 20 juin).

[2] Le jeune Alsacien avec qui Denise et Philippe ont sympathisé lors de leur bref séjour à Stosswihr à la fin mars.

[3] Philippe évoque ici la préparation militaire de Lucien Rosé, son beau-frère, marié à Simone, la sœur de Denise et actuellement en poste comme jeune administrateur colonial au Dahomey.

[4] Son père : CARUS François, Hugues, né le 10 juin 1886 à Amplepuis, fils de Claude, Antoine et de Joséphine Cleyet. Alors qu'il appartient au recrutement de Bourgoin(Isère), François Carus s'engage le 21 octobre 1904 au 6ème Régiment d'Artillerie. En décembre 1910, il se marie à Villié-Morgon. Il passe dans l'aviation le 10 juin 1912 en tant qu'élève-pilote, et sera breveté civil le 26 septembre 1912 sous le n° 1040, et breveté pilote militaire le 9 mars 1913. Au cours de l'année 1913, il appartient au Centre de Bron puisque le 30 juillet il se pose avec son biplan MF 70, près de l'église de Saint Geoirs en Valdaine (Isère), où réside son père. Au début de la Première Guerre mondiale, le maréchal des logis Carus est promu adjudant, et appartient probablement à l'école de pilotage de Reims, avant d'être affecté comme pilote à l'escadrille C 39. Promu Lieutenant le 4 octobre 1916, il est affecté à la Réserve Générale Aéronautique (RGA). Médaille Militaire en 1913, Citation à l'ordre de l'armée en septembre 1916 avant d'être fait Chevalier de la Légion d'Honneur en décembre 1916. Il est très probable qu'il a fait carrière dans l'aviation militaire où il fut victime d'un grave accident. A sa retraite, le Commandant Carus se retira au Bourget du Lac. François Carus fut un ami intime de Pégoud, originaire de Montferrat, et au cours de la guerre, il fut le compagnon d'arme à l'escadrille 39, du caporal-pilote Charles Carlin, originaire de Saint Cassien.

[5] L'école de pilotage René Caudron sur l'aérodrome de Royan-Médis (1935-1939)

Après la première guerre mondiale, il faut attendre 1930 pour voir la création de l'aéro-club de Royan, utilisant pour les appareils de ses adhérents les plus fortunés les prairies du plateau crayeux et venteux de Médis, dominant la baie de Royan.

Un prospectus de 1935 vante les charmes des promenades en avion : " Royannais et touristes, aidez toujours l'aéro-club de Royan en devenant bien vite de ses membres. Vous l'aiderez à prospérer ; et pour un prix très réduit, vous pourrez dans l'un de ses avions si sûrs, admirer, sous un angle nouveau, les plus jolis aspects de la Côte de Beauté ".

Cette propagande précédait d'un an celle qui sera lancée par le Front Populaire en faveur de " l'Aviation populaire ".

Un certain Joseph de Lélée, devient le chef pilote de cet aéro-club en 1934. ll est alors en relation avec le célèbre constructeur d'avions René Caudron (1884-1959), frère de Gaston Caudron (1882-1915), qui fut un des pionniers de l'aviation et se tua pendant la Première Guerre Mondiale, en expérimentant le premier avion de bombardement.

René Caudron, sur les conseils de Lélée, cherche alors à implanter une école de mécaniciens de l'air et une école de pilotage à Royan. C'est Joseph de Lélée qui mène les négociations sur place, auprès de la municipalité de Médis et celle de Royan, dont le maire est Jules Lehucher, remplacé en 1935 par Paul Métadier.

Création de l'école René Caudron : C'est donc en 1935 que Paul Métadier passe un premier accord avec René Caudron pour l'implantation d'une école de mécaniciens de l'air dans la caserne Champlain, inutilisée, et près de laquelle des ateliers et des hangars seront construits pour former 600 élèves (ce bâtiment est devenu ensuite un lycée professionnel, récemment vendu par l'Etat à un promoteur et détruit pour faire place à des immeubles).

Un second accord aboutit, cette même année, à la création d'une école de pilotage sur le site de l'aérodrome, qui devient officiellement " l'aéroport municipal de Royan-Médis ".

Ces écoles, qui font de Royan un grand centre aéronautique, vont porter le nom de leur fondateur, René Caudron. Elles devaient initialement former des mécaniciens et des pilotes civils. Mais, en 1935, devant la menace du réarmement allemand décidé par Hitler, l'état-major français se rendit compte que notre aviation risquait d'être rapidement dépassée par celle des Allemands. Il convenait donc non seulement de construire des avions, mais aussi de former au plus vite des mécaniciens et des pilotes militaires.

Il fallut donc pour René Caudron et Joseph de Lélée, agrandir, aplanir et baliser le terrain et qu'ils l'équipent de bâtiments d'habitation et de hangars. La base au sol comprenait un grand dortoir, une salle de conférence, des bureaux, des ateliers, des magasins, etc. Le tout, flambant neuf, le jour de l'arrivée de la première promotion, le 2 septembre 1935.

1935 : première promotion d'élèves pilotes et mécaniciens

Une deuxième promotion, d'une cinquantaine d'élèves encore, fut formée en 1936-37. Puis, brusquement, en juillet 1937, on apprit la fermeture et la dissolution de l'école, faute de crédits, au moment des difficultés économiques et financières du Front Populaire. 16 juin 1940 : dissolution de l'école d'aviation René-Caudron

Les baraquements de Médis et de Champlain furent détruits lors du bombardement du 5 janvier 1945.

[6] Pierre Cot (1895-1977) est nommé, en janvier 1933, par Édouard Daladier  ministre de l'Air, nouveau ministère promis à un riche avenir. Passant son brevet, il pilote régulièrement lui-même son avion officiel. Il se lance également avec fougue dans la promotion de l'aviation et réorganise l'aéronautique civile en créant la compagnie nationale Air France. Forcé d'abandonner ce portefeuille après les émeutes du 6 février 1934, il le retrouve en 1936 dans le gouvernement de Léon Blum sous le Front populaire. C'est alors que, par une organisation dissimulée à l'opinion publique, les ministères français vendent indirectement au gouvernement espagnol républicain des avions destinés officiellement à l'armée de l'air française. Pierre Cot s'attache aussi à développer l'Aviation populaire.

Membre du comité d'honneur de l'Association juridique internationale, il se consacre alors principalement à la nationalisation des industries aéronautiques.

En 1936, il est le fondateur, avec Philip J. Noel-Baker, du Rassemblement universel pour la paix.

[7] Tante Jeanne a été opérée, mais elle est à présent en convalescence avec son mari, en Touraine, où Denise les rejoint pour une semaine.

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