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De si longues Fiançailles
1 mai 2021

Lettre de Denise à Philippe, Paris, ce 9 juillet 1937

Je suis rentrée à Paris depuis presque une semaine déjà. Ça n’a pas fait grand-chose à mon système nerveux, bien que je dorme un peu moins mal, mais cela, je le faisais avant. Ce qui est le plus dur pour moi, c’est de n’être jamais seule… Alors, je ne l’étais pas davantage à Tours qu’ailleurs. Comme je voudrais que nous soyons mariés ! Phil, c’est un supplice intolérable, tu sais. Je ne crois pas que tu t’en rendes compte, autrement tu m’écrirais plus souvent. Je ne suis pas une sainte dans sa niche, moi ! Tu devrais bien le comprendre. J’ai besoin de réalités, et tes lettres, c’est tout de même quelque chose de toi.

Trois mois sans te voir encore. C’est terrible, tu sais ? J’ai terriblement envie d’être auprès de toi. Par moment, ça me rend folle. Nous n’aurons jamais assez de toute notre vie pour nous aimer, cela, j’en suis sûre. Mais que ça fait mal d’être séparés.

Tu me demandes ce que devient papa. C’est demain qu’il rentre à la maison.

1937 07 10 transort en ambulance          1937 07 9-10 calepin Julie

Transport de Lucien Proutaux par ambulance le 10 juillet

La Table G        La Table G

La table de malade

Sa plaie du bras est fermée depuis longtemps, mais elle continue à le faire souffrir. Sa jambe n’est pas terminée, mais est en bonne voie de guérison. Je ne sais pas comment cela se passera quand il sera ici, son moral est intermittent. J’ai peur qu’il ait encore plus le cafard à la maison qu’à la clinique, car il aura moins de visites et de distractions. Il y a ici une jeune cousine[1] divorcée qui est sans travail pour le moment et qui est venue aider maman. Enfin, dès demain, la maison va être pleine de monde.

Je ferai comme tu voudras en octobre, j’irai à Royan d’abord. Mais j’espère que nous pourrons aller à Oléron tous les deux. Tu parles que c’est facile d’écrire, Maman et ma cousine n’arrêtent pas de parler autour de moi. Comment veux-tu que je te dise que je t’aime ?

J’ai besoin de toi, je ne peux plus supporter d’être loin de toi, je tomberai malade, c’est sûr. Je ne peux plus vivre sans toi. J’ai besoin de t’embrasser, de t’aimer, et aussi de te faire enrager. Tu sais, je serai très, très méchante pour me venger d’avoir tant attendu ! Et toi, comment te vengeras-tu ?

Figure-toi que mercredi dernier, j’ai été visiter l’Hôpital Baujon[2], cette célèbre merveille que je ne connaissais pas, bien que ce soit à 500 mètres de chez moi. C’est pas mal évidemment, au point de vue hôpital. C’est un interne, ami de Simone, qui y est en ce moment, qui me l’a fait visiter. Il s’appelle Fernand Plas[3] et tu nous en as peut-être entendu parler, parce qu’il va à Royan tous les ans et nous le connaissons depuis fort longtemps. Je l’avais rencontré un dimanche à la messe et il m’avait invité à visiter Beaujon où il fait son internat et à diner en salle de garde, ce que j’ai fait, c’était assez amusant. Mais les internes faisaient tellement de chahut que j’en ai attrapé la migraine.

Fernand Plas, fourni par Manuel Plas son neveu un portrait du professeur Fernand Plas, de la part de son neveu, Manuel Plas, que je remercie.

Clichy Hôpital Beaujon en 1935   une vue actuelle de l'hôpital Beaujon

 L'Hôpital Beaujon en 1935 et de nos jours

salle des gardes   Beaujon57

 La salle de garde de l'hôpital Beaujon est connue pour ses fresques. J'en ai choisi deux parmi les moins osées.

Tu sais, je ne lis pas grand-chose. J’ai acheté hier « La Fille du Capitaine » de Pouchkine, j’ai été déçue, je croyais que c’était plus épatant, il paraît que c’est le plus grand écrivain russe. Il est vrai que la traduction française est affreusement mauvaise.

Pouchkine La Fille du Capitaine    Alexandre Pouchkine 1799-1837

Veux-tu que je t’envoie des livres ? Si tu as le temps de lire un peu, ça te désabrutira. Je voudrais bien que tu sois déjà aspirant, ce sera sûrement beaucoup plus intéressant pour toi et tu seras probablement moins obligé de tant travailler. C’est drôle que tu maigrisses tellement. Tu n’es pas malade ? Est-ce seulement en raison du travail ? (Il y a de quoi devenir folle, je n’arrive pas à t’écrire, en entendant parler derrière moi). Je voudrais bien que tu reviennes comme en 1930, tu étais très bien à ce moment, tu sais. Est-ce que tu te tiens droit, au moins ?

Je renonce à t’écrire davantage, c’est impossible.



[1] Cette jeune cousine est surnommée « Minnie », sans que j’aie pu déterminer de qui il s’agit.

[2] En 1784, Nicolas Beaujon, conseiller d'État et receveur des finances, fonde, à Paris, un établissement nommé hospice Saint-Nicolas, s’occupant d’orphelins. Il est rapidement dénommé hospice Beaujon, en hommage au généreux bienfaiteur. En 1803, il devient un hôpital, qui compte, en 1810,  122 lits et en comptera plus de 600 en 1910. Devenu vétuste et exigu, l’Assistance publique décide de construire un nouvel établissement à Clichy pour le remplacer. La première pierre est posée en janvier 1933 et l'hôpital ouvre en mars 1935. C’est donc un établissement flambant neuf que visite Denise.

[3] Fernand Plas (1912-1997), professeur agrégé da la faculté de Paris, a participé à Encyclopædia Universalis en y rédigeant l’article sur « Effort, physiologie » ( 3.743 mots). S’est distingué en médecine du sport. En 1950, il crée la cardiologie du sport et développe la physiologie de l’effort. Il fut directeur de l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance) de 1963 à 66. Il épousa en 1939  Jacqueline PÉCAUT.

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