Lettre d’Amrita à Denise, Simla, vers le 15 août 1937
Ma chère Denise,
Je vous demande pardon, d’avance, de vous avoir tellement embêté et tout cela pour rien[1]. Malheureusement, (mon dieu, comment ai-je écrit cela ?), l’éditeur du livre ne veut rien entendre à propos de la reproduction en couleur. Il paraît que c’est exactement trois fois plus cher qu’ici, alors nous devons renoncer à ce projet !
Je vous demande pardon, encore une fois.
Indu va finalement se marier avec un petit bonhomme, laid mais très sympathique et intelligent. Le mariage sera en octobre. Probablement tout à fait au début du mois[2], à Simla. Quel dommage que vous ne soyez pas ici !
J’ai reçu les photos. Je me suis demandé pourquoi il y en avait sept de chaque. Ce Roseman[3] est non seulement voleur, mais idiot !
Puisque vous allez envoyer une de vos copies en Hongrie, voulez-vous que je vous en envoie une[4] ? A propos de l’article du Hongrois, il y en a déjà un paru dans un des journaux les plus importants de la Hongrie. Le voici[5] ! Vous pouvez l’envoyer à Zoltán Székely[6] à titre d’information !
Encore une dernière chose que je vous prie de faire pour moi : téléphonez à Robinot[7] (qui, d’ailleurs, a demandé beaucoup trop pour le cadre. L’année dernière, pour deux grands tableaux, il m’avait pris 80 francs) et dites-lui de me renvoyer le reçu des tableaux sans faute, autrement, j’aurai des embêtements ici.
Alors, vous aimez « Child Wife » ? C’est trop influencé par Gauguin. Je me dégage maintenant même de son influence.
Child-wife, ou L'Enfant Marié, 1936
Un travail inspiré par "Child-wife", par la Website Designer Audra Hogan, née en 1963
Montage, Amrita peignant Child-wife Etude Child-wife
Child-wife, étude des couleurs Résultat final
Je ne crois pas que Marie-Louise[8] se soit payé votre tête, je pense qu’elle était sincère. Seulement, elle n’a pas réellement changé. Comment le pourrait-elle ? Je voudrais bien voir ce qu’elle fait à présent.
Alors, vous avez pu trouver des phrases d’admiration pour l’œuvre picturale de Paul Coze ? Moi, je n’ai pas pu pousser la politesse à ce point (mais j’espère qu’il va m’envoyer des photos tout de même[9]).
Je vous embrasse affectueusement.
Amri
P.S. : Envoyez-moi à la fin une bonne photo de vous !
[1] Denise a été sollicitée par Amrita à plusieurs reprises, au sujet du Salon des Tuileries, qui n’a pas eu lieu en 1937 et à propos de reproduction de ses œuvres en vue d’éditer un livre.
[2] Précisément, le 2 octobre 1937, Indira épouse Kalyan Sundaram (voir lettre à cette date)
[3] Voir les lettres du 29 février et du 5 avril 1937.
[4] Cette phrase ne me paraît pas claire. S’agit-il d’un article écrit sur Amrita par Denise ?
[5] J’ai inséré cet article en hongrois le 13 juin 1937, date réelle de sa parution.
[6] Zoltán Székely (1903-2001) est un violoniste et compositeur hongrois. À partir de 1937, il vit aux Pays-Bas. En 1950, il émigre aux États-Unis. J’ignore comment Denise a pu rencontrer Zoltán Székely, peut-être chez les Sher-Gil dans les années 33-34.
[7] Au sujet de Robinot, emballeur, expéditeur d’objets d’art et encadreur, voir les lettres du 5 avril et du 3 mai 1937.
[8] Marie-Louise Chassany (1911-1939, peintre, amie intime (et jalouse ?) d’Amrita, avec qui on lui prêta une liaison, qu’Amrita démentait vigoureusement…
[9] Paul Coze (1903-1974), explorateur, photographe, journaliste-reporter et grand fervent du scoutisme, avait été envoyé en Inde au début de 1937 afin de ramener un tigre qui figurerait à l’Exposition Universelle de Paris. En réalité, il attrapa la typhoïde sitôt arrivé et fut soigné à l’hôpital de Simla. Il y rencontra Amrita et fit un reportage sur elle qui paraîtra dans L’Illustration du 25 juin 1938. (voir lettres du 22 et 25 juillet 1937)