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De si longues Fiançailles
12 mai 2021

Lettre de Denise à Philippe, Paris, lundi 6 septembre 1937

Phil,

En effet, tu es un garçon étonnant. Tu restes vingt-quatre jours sans m’écrire, sans raison, et c’est toi qui es fâché[1].

Je comprends bien que j’aurais dû t’envoyer une lettre débordante de joie et de contentement, et considérer ton silence comme une preuve nouvelle d’amour. Je n’avais pas pensé à cela, figure-toi.

Je te remercie aussi de croire que j’ai « interprété » la pensée de ta mère. Je garde sa lettre à ta disposition et tu pourras te rendre compte que j’ai plutôt adouci ses termes.

Ta lettre datée de mardi est arrivée vendredi à onze heures. Pourquoi ? Les trains méridionaux ont-ils tant d’irrégularité ?

Tu me parles d’un second examen, mais tu ne m’as jamais dit quelle place tu avais eu au premier.

Est-ce que tu vas te baigner quelquefois ? C’est tout à fait dégoûtant le temps splendide de cette année, quand on est obligée de rester à Paris. Je suis retournée à l’aviron samedi, j’avais dû abandonner en août, il n’y avait personne. Mercredi, je vais à la piscine et je fais de la culture physique une demi-heure tous les jours depuis un mois et demi. Je suis en assez bonne forme, j’ai maigri un peu, je pèse 54 kg tout habillée. Je crois que mon poids idéal serait 53 kg. J’ai les bras, les jambes et le cou qui deviennent très musclés. Je voudrais bien que tout le reste soit comme cela.

Ma blouse grise est finie, elle est très jolie. J’ai acheté des chaussures de plage assez gentilles –pour l’année prochaine…

Est-ce que tu navigueras quand tu seras à Brest ? et à Toulon ?

Moi, j’aimerais mieux aller dans l’île d’Oléron qu’à Royan. D’après ce que disait ta mère, je croyais qu’elle s’installait au Château tout de suite[2].

Bd Thiers Le Château Oléron Boulevard Thiers au Château, où est située la perception où Lucie va travailler

J’espère que le beau temps continuera, et qu’à défaut de nous baigner, nous pourrons faire des promenades. Ça me fera du bien de respirer un autre air que celui de Paris. En somme, à part les dix jours passés en Alsace, je n’ai pas eu de vacances depuis un an.

Je crois t’avoir dit qu’Indu se mariait au début d’octobre.

Je viens de recevoir une carte de Rosenberg[3] que je n’ai pas vu depuis une éternité. Il est dans l’île de Ré jusqu’à la fin de septembre. Il n’est pas encore marié.

Simone et Rosé sont toujours très contents (Dis donc, ça va faire un an qu’ils sont mariés !). Simone a été chargée par les Pères d’organiser la réception en l’honneur de l’Evêque qui vient en tournée pastorale ! Elle prête ses boys, sa vaisselle et organise le menu. Elle est décidément une maîtresse de maison accomplie !

1937 03 31visite du ministre Marius Montet au Dahomey bac de Grand Popo Gayon de Coppet Marius & Martinet 31 mars 1937: visite du ministre Marius Montet au Dahomey (bac de Grand Popo). Figurent MM Gayon, de Coppet, Marius Montet & Martinet

1937 Athiémé photo de famille Gayon Cdt Bancal Mme Séguy Lucien Mme Gayon & Toutoute assises Simone et Josette Bancal 1937, Athiémé, photo de famille: Gayon, Cdt Bancal, Mme Séguy, Lucien Rosé, Mme Gayon & Toutoute, assises: Simone et Josette Bancal

Ils viennent de faire une tournée de plusieurs jours avec leurs boys, 4 porteurs de hamacs et des gardes indigènes. En tout vingt hommes d’escorte. En chemin, les chefs indigènes venaient apporter à Simone des poulets, des canards et des moutons… C’est rigolo (comme dirait Berry[4])

Les Noirs du Dahomey ne sont pas comme ceux d’Amérique, du moins d’après ce que tu racontes[5] : ils sont bien plus braves types. C’est vrai qu’ils ne sont pas trop contaminés par le contact des Blancs. Dans le cercle d’Athiémé, il y a seulement 4 fonctionnaires français pour 20.000 indigènes, je crois.

Ce doit être pour cela que ça ne va pas trop mal.

Je ne suis pas sortie depuis le début d’août. J’espérais pouvoir assister à un ou deux galas de musique allemande, mais … ma bourse est trop plate, et comme tous les gens que je connais sont en vacances, je n’ai pas eu d’invitations. Inch’Allah[6] !

Dans un mois, nous serons presque réunis. J’arriverai le 10 octobre, moi aussi. Où est-ce que je pourrai descendre, à Royan ? Toutes les pensions de famille doivent être fermées à pareille époque, et d’ailleurs, ça ne me dit rien d’être « l’unique pensionnaire ». Je n’aime déjà pas beaucoup le genre « pension de famille » en temps ordinaire. J’irai peut-être à l’Hôtel de Paris.

Hôtel Paris-Atlantique à St Georges de Didonne transformé pour les congés payés Hôtel Paris-Atlantique à St Georges de Didonne transformé en 1936 pour accueillir les congés payés

Je vais te quitter, Phil, il est encore horriblement tard, je me couche toujours à des heures impossibles.



[1] Voir le début de la lettre de Philippe du 31 août.

[2] En fait, le travail de Lucie va se dérouler à la perception du Château, 1 boulevard Thiers, tandis que la maison qui vient d’être achetée est située à Chéray.

[3] Werner Rosenberg a photographié de nombreuses fois Denise, Philippe, Amrita, Indira, Simone et signait ses portraits sous le pseudo de « Vero »

[4] Albert Zinglé, le jeune Alsacien rencontré lors du séjour à Stosswihr fin mars.

[5] Philippe a assisté à des grèves très dures lors de ses escales au Texas (Mobile)

[6] Plutôt que Inch’Allah, Denise aurait du écrire Māchaʿ Allāh qui signifie Dieu l’a voulu ainsi. Mais elle n’avait encore jamais mis les pieds au Maroc.

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