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De si longues Fiançailles
16 mai 2021

Lettre de Denise à Philippe, Paris, Ce 24 septembre 1937

J’ai reçu ta lettre hier soir et ce matin, une de ta mère. Décidément, la famille Dyvorne me comble !

J’espère bien que ce sera dans l’île que j’irai. D’abord, parce qu’à Royan, je serai peut-être obligée d’aller voir ma tante de Baignes, et tu comprends que ça ne m’enchanterait pas du tout de perdre deux jours ! De toute façon, à Royan, je descendrai à l’hôtel, et pas dans sa villa, ce qui ne serait pas pratique du tout. Il faudrait que je fasse le ménage, merci bien ! (tu casserais une autre suspension !) et en plus de ça, la maison doit être glaciale et humide. Je partirai le matin du 10, je ne sais pas à quelle heure il y a des trains, je ne me renseignerai pas avant d’être fixée sur mon lieu d’arrivée.

J’ai pensé à une chose. Si nous voulons nous marier à Brest, puisque c’est là que tu seras (et je crois que dans une sens, ce serait la solution la meilleure), il faut que tu y prennes un domicile. Une simple chambre, ça suffit, pourvu que tu aies des quittances de loyer à ton nom. Et même, tu pourrais peut-être t’arranger avec un camarade. Enfin, nous parlerons de cela dans quelques jours.

Décidément, tu dois joliment être maigre si tu manges seulement des fruits. Est-ce que Rosé[1] t’a rattrapé ? Il doit atteindre maintenant 66 ou 67 kg, ayant beaucoup engraissé depuis son arrivée au Dahomey (j’ai toujours prédit qu’il reviendrait en France avec du ventre).

Lucien pantalon de zouave Rosé, en pantalon de zouave, a fortement grossi

Il fait en ce moment des petites tournées de trois jours avec Simone, mais ils espèrent qu’on va leur en confier une de trois semaines. Il paraît que la vie dans ces tournées est épatante (à part qu’on ne peut pas se laver) et que Lucien prend son rôle de « commandant blanc » tout à fait au sérieux. Simone écrit à une de ses amies : « Vous devriez voir Lucien assis sous son arbre, palabrant avec les chefs du village et tout gonflé de son importance. » Enfin, ils semblent très heureux.

J’ai toujours oublié de te dire que tu étais invité à descendre chez mon oncle[2] pendant ton séjour à Paris (je suppose que nous reviendrons ensemble de Royan ou d’Oléron). Si tu acceptes, dans un sens, ça fera de l’argent économisé, mais dans un autre, j’aimerais autant, quand même, que nous ne prenions pas tous nos repas au sein de la famille. Est-ce que nous irons chez les Bonnot[3], cette fois ?

Du côté de Papa[4], la situation est toujours inchangée. Il était bien aujourd’hui et mal hier. Au fond, depuis qu’il est ici, ça n’a fait aucun progrès et je doute qu’il puisse s’en tirer jamais.

Je ne peux pas te dire ce que je fais, parce que ce n’est pas grand-chose. Je n’ai revu personne depuis les vacances. La semaine prochaine, j’irai à l’Expo voir Line Vautrin[5] qui y a un stand.

expo Paris 1937   1937 09 24 miroir en talosel de Line Vautrin

Affiche de l'Exposition de 1937                                                           Miroir en "talosel" de Line Vautrin

Il y a une quinzaine de jours, j’ai été à la présentation d’un film « La Citadelle du Silence[6] » que j’ai trouvé quelconque, bien qu’on fasse de la réclame autour de lui. Annabella y est très gentille, je l’aime mieux que les actrices françaises en général. Oui, je crois que « La Charge de la Brigade Légère » c’est très bien, mais je ne l’ai pas vu.

1937 09 24 la citadelle du silence avec Annabella

 J’ai un ensemble de sport avec jupe-culotte qui est très bien. Du reste, tu ne connais rien de ce que je porte en ce moment. Je commence à me faire faire des robes en prévision de l’année prochaine !

Tu es bête de ne pas sortir du tout. Pourquoi ?

Il doit faire beau encore à Toulon. Jusqu’à quelle époque peut-on se baigner ?

J’espère qu’il fera assez beau dans quinze jours pour nous permettre de sortir tout le temps[7]. J’en ai besoin. J’ai recommencé à tousser depuis une semaine, c’est bête, ça ne m’avait pas repris l’hiver dernier, et autrement, je vais plutôt bien –pour ne pas avoir quitté Paris depuis si longtemps.

Quand je pense que c’est dans une semaine qu’Indu se marie, ça me fait un drôle d’effet[8] !

Je pense que tu dois travailler beaucoup en ce moment. Tout de même, ne sois pas trop maigre et fatigué, je serais capable de ne plus te reconnaître.

Est-ce que tous les autres travaillent et maigrissent autant que toi ?

Enfin, maintenant, je sais qu’il n’y a plus beaucoup de jours avant de nous revoir et je n’ai plus le cafard. Il ne faut pas que tu l’aies, non plus.


[1] Lucien Rosé, beau-frère de Denise, marié à Simone. Administrateur colonial.

[2] Maurice Proutaux, le frère du père de Denise a épousé Jeanne Furet, la sœur de sa mère, ce qui provoque une grande proximité entre les deux couples .

[3] Le Commandant Roger Bonnot (1894-1973), aviateur connu pour avoir piloté la Croix du Sud est un ami de la famille Dyvorne

[4] Lucien Proutaux, père de Denise, grand invalide de la guerre 14-18 voit sa santé s’altérer irrémédiablement du fait de la blessure à la jambe qui n’a jamais vraiment guéri.

[5] Line Vautrin, née le 28 avril 1913 à Paris où elle décède le 12 avril 1997, est une artiste française, designer, créatrice de bijoux et d'objets de décoration. Tout au long de sa vie, elle refuse de soumettre son inspiration aux exigences de la mode contemporaine et fabrique des milliers d'objets, dont les « sorcières », miroirs circulaires convexes, au pourtour souvent décoré au moyen de « talosel »

[6] La Citadelle du silence est un film dramatique français réalisé par Marcel L'Herbier en 1937. Jean Anouilh y a réalisé les dialogues. Résumé : Le cadre historique est une rébellion des étudiants contre le tsar Nicolas II. Viana, jouée par l’actrice Annabella, essaie de tuer le gouverneur mais c'est son amant qui est arrêté et envoyé dans une sinistre forteresse. Viana épouse le commandant de la forteresse pour s'approcher de son cher prisonnier...

[7] Denise et Philippe se retrouveront le 10 octobre, enfin ! Ils passeront une quinzaine de jours ensemble, d’abord en Charente-Maritime, puis à Paris.

[8] Le 2 octobre, Indira Sher-Gil épousera Kalyan Sundaram à Simla, aux Indes.

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