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De si longues Fiançailles
5 juin 2021

Lettre d’Indira à Denise, 6 Raisina Road, New Delhi, 20-11-1937

 

Ma chère Denise,

Je viens de recevoir votre cadeau, merci mille fois ! C’est vraiment très joli, je l’ai mise tout de suite, et je n’ai pas besoin d’ajouter que mon mari m’a trouvée extrêmement séduisante[1]….

Je vous ai écrit plusieurs lettres avant et après mon mariage, dans lesquelles je vous ai parlé longuement de tout ce qui pourrait vous intéresser, malheureusement, ces lettres n’ont pas été mises à la poste. Quelques-unes que j’ai déchirées, les autres se sont perdues, et maintenant, je n’ai plus le courage de vous écrire d’autres lettres dans ce genre : l’effort a été trop épuisant.

Enfin, je peux toujours vous dire que ma vie n’a pas beaucoup changé : je suis toujours aussi vaseuse et indifférente, je ne suis pas plus occupée qu’avant. Comme nous avons beaucoup de domestiques, qui font tout le travail, je n’ai pas besoin de m’occuper du ménage, au plus, je surveille un peu leur travail et je donne le menu (qui n’est pas très compliqué) au cuisinier le matin pour les repas.

Donc vous voyez que je n’ai pas grand-chose à faire, et même cela, je ne le fais pas toujours. Il y a des moments, quand tout me dégoûte, et alors, je ne fais absolument rien, je m’étends sur un lit et je reste là, sans bouger, sans penser, pendant des heures.

Donc, vous voyez, ma chère Denise, je n’ai pas beaucoup changé.

Je parle beaucoup de vous à mon mari. J’en ai même parlé, de ces fameuses soirées passées à la rue Bassano[2] ; ça l’avait amusé, et en même temps, l’a rendu un peu jaloux. Mais il commence à s’habituer car je lui raconte toutes mes affaires du passé…

La vie au 11 rue Bassano (1)

La vie au 11 rue Bassano (2)

Nous irons à Simla l’année prochaine, et puis nous reviendrons à Delhi ;  l’année après (c'est-à-dire 1939), nous irons très probablement à Magyar (la Hongrie[3]).

J’apprends à conduire une auto, c’est assez amusant.

Nous nous entendons assez bien, quoique nous commençons maintenant à nous disputer plus souvent ; mais ça, c’est inévitable, c’est impossible de s’entendre toujours et d’être d’accord sur tous les points ; d’ailleurs, je deviens de plus en plus difficile et impatiente.

Le petit Jean[4] avait bien raison quand il disait que « je plains le pauvre homme qui sera votre victime ». Mon mari est convaincu que je suis un peu toquée, et moi-même, je commence par le croire.

J’ai reçu une touchante petite lettre de mon bienaimé Géraud[5], ainsi qu’un petit bracelet tout ce qu’il y a d’affreux. Enfin, c’était gentil de sa part, d’avoir pensé à moi ; il compte bien me faire une « petite visite » dans deux ans. Je n’ai pas besoin de vous dire le plaisir que j’aurai à revoir le cher et intelligent visage de mon ex-fiancé.

Je vous enverrai par la poste prochaine le bracelet, les boutons et la bague que je vous ai achetés à Kashmir.

J’apprends à lire et à écrire Hindi, c’est assez difficile mais c’est intéressant. Je vous enverrai des photos la prochaine fois.

Je vous embrasse

Indu

Ecrivez-moi vite



[1] Denise a envoyé de la lingerie fine à Indira pour son mariage.

[2] L’appartement de la famille Sher-Gil était situé au 11 rue Bassano, dans le 16ème arrondissement de Paris ; ce fut un haut lieu de rencontres amicales, intellectuelles, artistiques et cosmopolites.

[3] 1939 en Hongrie… les événements se chargeront d’anéantir ce projet.

[4] Le petit Jean : un des premiers amours (platoniques ?) d’Indira, qui devint sa confidente, avant que Denise prenne la relève, quand le petit Jean a avoué son penchant pour les garçons.

[5] Géraud, le baron d’Encausse de Ganties, un des prétendants d’Indira à Paris. Est parti en Indochine dans l’administration coloniale.

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