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De si longues Fiançailles
1 septembre 2021

Lettre de Philippe à Denise, Oran, dimanche 15 mai 1938

Je suis resté longtemps sans t’écrire, mais ce n’est pas de ma faute, je t’assure.

Les Jeanson[1] sont venus sur « L’Algérie » et j’y étais.

1938 05 08 Croiseur L'Algérie Marine 1934-42 

Fanions-Escadre-Mediterranee-Abrial-Croiseur Algérie

De toutes façons, je devais y aller –ce n’était ni plus, ni moins drôle que toutes ces sortes de «festivités», il y avait énormément de monde. Le soir, il y avait grand bal à l’hôtel de ville mais je suis resté à bord –bridge- Les Jeanson m’avaient à nouveau invité pour le dimanche pour déjeuner ; j’y suis allé et j’ai apporté à Jeanne une botte de violettes avec l’insigne du « Vautour » pour la tenir.

Insigne

Après le déjeuner, nous sommes allés nous promener en voiture dans les environs et le soir, ils m’ont gardé à diner. Il y a une chose bien chez eux, c’est que comme il n’y a pas de gaz, tout est électrique, chauffe-bain, cuisinière… C’est évidemment très bien. Dans la nuit de dimanche à lundi (8/9 mai  1938), nous sommes partis pour Safi… exercices en quantité et arrivée devant Safi où une réception nous était préparée.

Port de Safi

Nous avons mouillé et sommes restés 30 heures à rouler bord sur bord sans pouvoir communiquer avec la terre autrement que par T.S.F. Finalement, nous avons appareillé dare-dare parce que l’Albatros[2] ne tenait plus sur son ancre et que nous risquions de débarquer brutalement sur la jetée.

1938 05 08 contre-torpilleur Albatros 1930-58

La dernière nuit, j’ai dormi 3 heures ! et finalement, nous sommes arrivés à Oran… d’où nous repartons lundi.

port d'Oran

 

Je n’ai pas fait beaucoup de sport encore, mais s’il avait fait beau aujourd’hui, je serais allé avec Evenou[3] à la pêche.

1938 05 08 Jules Evenou

Nous sommes très copains, il a un matériel très perfectionné et je vais commencer à m’en construire un aussi, surtout un masque pour y voir dans l’eau et je t’en ferai un aussi, à ta taille. Il a également des palettes en caoutchouc dur qu’il adapte à ses pieds et qui permettent d’aller très vite, beaucoup plus qu’un champion, car elles permettent de suivre un poisson blessé ! L’ennui, c’est que cela s’achète assez cher -250 F- mais j’essaierai de m’en faire sur le même modèle.

Enfin, si à Oran, nous ne pouvons pas faire d’aviron, il n’en sera pas de même à Bône et entre le Gerfaut et le Vautour, nous formons au carré une équipe.

contre-torpilleur Gerfaut en service de 1932 à 1942 

Fanions-Escadre-Mediterranee-Abrial-20 Gerfaut

Je me sens déjà en meilleure forme et je veux que tu sois fière de moi en me retrouvant.

J’ai eu quelques indices sur ma demande de rempilage qui est partie maintenant sur l’Algérie avec les avis les plus favorables qui soient.

J’ai repris un peu de courage et je voudrais t’en donner. Je suis peut-être encore plus triste qu’au départ, lorsque je suis seul dans ma chambre, mais il me semble maintenant que nous nous rapprochons l’un de l’autre.

Raconte-moi tout ce que tu fais –les gens que tu vois- ce que tu entends et ce que tu apprends –il me semble qu’en me les racontant, tu auras plus de confiance en toi et plus de courage

Demain lundi (9 mai 1938), nous partons, nous allons à Arzew, mais il est à peu près certain qu’il n’y aura pas de communications avec la terre –et je ne pourrai avoir de lettre qu’à Bône où nous arriverons le 10 (mai 1938). Ecris-moi là-bas. Si je peux, je t’écrirai d’Arzew mais sois sûre que la première chose que je ferai à Bône sera de te poster une lettre écrite pendant la traversée.



[1] Voir la présentation de Henri et Jeanne JEANSON dans la lettre du 8 décembre 1937.

[2] Le contre-torpilleur Albatros fut mis à l'eau à Nantes, le 28 juin 1930. Lors d'un essai le 22 avril 1931, il fait tomber le record de vitesse des navires français en réalisant 41,9 nds. Appartenant à l'escadre de Méditerranée, l'Albatros escorte la 2ème division de croiseurs (Dupleix, Colbert) lors du bombardement de Gênes le 14 juin 1940. Touché par un obus de 152, l'Albatros perd 12 marins. En 1942, l'Albatros est à nouveau avarié devant Casablanca par le feu de la Task Force 34 pendant le débarquement allié du 8 novembre 1942. Il doit se jeter à la côte. Remorqué à Toulon après la guerre, il devient navire école d'application du tir à la mer jusqu'en 1958.

[3] Jules Evenou est né le 12 juillet 1908 à Pleguien (Côtes du Nord). Son père était marin puis agent administratif des affaires maritimes. Bachelier, il poursuit des études en classe de Mathématiques Spéciales à Rouen avant d'entrer à l'Ecole Navale en octobre 1927 à Brest. Enseigne de vaisseau de 2e classe à sa sortie de l'Ecole en 1929, il est affecté sur différents bâtiments de surface (Boulonnais, Edgar Quinet, Provence, Fortune) et sous-marins (Phoque, Nautilus) comme enseigne de vaisseau de 1ère classe (1931) puis comme lieutenant de vaisseau (1937).

Pendant la Drôle de Guerre, il sert sur le contre-torpilleur Tigre puis sur le sous-marin Surcouf. Au début du mois de juin 1940 le lieutenant de vaisseau électricien Evenou est chargé d'équiper dans la rade de Cherbourg le cuirassé Courbet, alors bateau école, de défenses antiaériennes. A l'occasion d'une attaque, l'équipe qu'il commande abat un appareil allemand. Devant l'avancée allemande, il quitte les côtes françaises, le 17 juin 1940 à bord du Courbet à destination de l'Angleterre. Début août, il s'engage dans les Forces navales françaises libres sous le nom de Jacques Richard et prend rapidement le commandement du contre-torpilleur Léopard ; dès le mois de novembre 1940 il participe avec un entrain magnifique à de nombreux convois dans l'Atlantique Nord. Le 24 février 1941, il sauve 39 rescapés d'un cargo anglais torpillé et conduit brillamment cinq attaques successives à la grenade contre un sous-marin allemand, parvenant probablement à le couler. En juillet 1941, promu capitaine de corvette, et alors que le Léopard est entré en grand carénage, Jules Evenou exerce les fonctions de sous-chef d'Etat-major des FNFL jusqu'en mars 1942. Rembarqué à nouveau en juillet 1942 comme commandant du Léopard, il dirige, le 11 juillet, l'attaque à la grenade d'un sous marin allemand, le U 136, qui sera coulé au large de Madère, avec l'aide de deux bâtiments anglais, le Pélican et le Spry. Il mène ensuite à bien, avec beaucoup de détermination et d'habileté, l'opération de ralliement de l'Ile de la Réunion à la France combattante. Le 27 novembre 1942, le Léopard appareille depuis l'Ile Maurice avec, à son bord, une quarantaine de fusiliers marins commandés par le lieutenant de vaisseau Cadéac d'Arbaud ; le commandant Evenou annonce alors à ses hommes que la destination est l'Ile de la Réunion - et non l'Indochine - et que le but de l'opération est, malgré l'opposition des Britanniques, le ralliement de l'île à la France combattante. Le lendemain matin, les fusiliers marins sont débarqués secrètement et, après quelques échanges d'artillerie, le Léopard entre dans le port de Saint-Pierre de la Réunion où il installe le nouveau gouverneur de l'Ile, Jean Capagorry. Jules Evenou est promu capitaine de frégate en avril 1943. Le 27 mai, le Léopard s'échoue au large de Benghazi (Libye) et ne peut-être récupéré.

En juillet 1943, le commandant Evenou est nommé sous-chef d'Etat-major de la Marine à Alger. En janvier 1944, il prend le commandement de la marine à Madagascar où il reste jusqu'au printemps 1946. De 1946 à 1950, il sert à Toulon et à Cherbourg. Capitaine de vaisseau en 1947, Jules Evenou est ensuite délégué régional de l'Action sociale des Forces armées (1950), puis commandant de la Direction du Port de Bizerte en Tunisie (1951). En 1952 il est de nouveau commandant de la marine à Madagascar et commandant la Base stratégique de Diego-Suarez. Il commande ensuite le croiseur Georges Leygues (1954) avant de recevoir deux ans plus tard, ses étoiles de contre-amiral comme major général à Bizerte. Chef d'Etat-major adjoint de l'amiral commandant en chef les Forces Alliées en Méditerranée, il commande, en 1958, les Forces Maritimes du Pacifique. Successivement commandant en chef de la Base Stratégique du Pacifique (1959), Préfet Maritime de la 1ère Région maritime (Cherbourg) avec le grade de vice-amiral (1960), chef du cabinet militaire du Premier Ministre (1961), commandant en chef dans l'Océan Indien comme vice-amiral d'escadre (1962), Préfet Maritime de la 3e Région maritime (1964), commandant l'escadre de la Méditerranée (1965). En 1967, Jules Evenou devient inspecteur général de la Marine, membre du Conseil supérieur de la Marine et est promu au grade d'amiral.

Président de l'Institut français de Navigation (1968-1972). L'amiral Evenou est décédé le 2 novembre 2002 à Asnières-sur-Seine (92). Il a été inhumé à Pleguien dans les Côtes d'Armor.

• Grand Officier de la Légion d'Honneur

• Compagnon de la Libération - décret du 31 décembre 1942

• Grand Croix de l'Ordre National du Mérite

• Croix de Guerre 39/45 (5 citations)

• Médaille de la Résistance

• Commandeur du Mérite Maritime

• Médaille Coloniale

• Croix du Combattant Volontaire de la Résistance

• Médaille des Services Volontaires dans la France Libre

• Grand Croix du Mérite Naval Espagnol

• Grand Officier de l'Ordre Royal des Grandes Comores

• Grand Officier du Nichan El Anouar

• Commandeur de l'Etoile d'Anjouan

• Commandeur du Ouissam Alaouite

• Commandeur du Nicham Iftikar

• Commandeur de l'Ordre du Mérite Congolais

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