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De si longues Fiançailles
5 septembre 2021

Lettre de Denise à Philippe, Royan, lundi soir, 23 mai 1938

Je suis à Royan, mon voyage s’est très bien passé.

Chemins de fer de l'Etat

Je suis couchée, à côté de moi, il y a la pendulette de Langle et une lampe que Melle Gorge nous a envoyée[1]. Elle est beige et noire, pas comme je voulais, mais pas mal tout de même. Seulement, je remplacerai l’abat-jour, qui est tout uni, par un autre beige et noir, si je trouve. J’en ai vu à « Toulona[2] », rue d’Alger[3], et aussi une autre petite lampe rose orangée, en sorte de brique, que j’achèterai.

la rue d'Alger à Toulon 

 

Monoprix Toulona

 

Je regrette ma maison de Toulon, et aussi Toulon. Ici, tout est beaucoup plus laid. Il fait assez beau, mais sensiblement plus froid, surtout dans les maisons.

J’ai reçu ta lettre ce soir. J’étais si contente. Si tu savais combien je suis heureuse, tu m’écrirais encore plus souvent.

Bonsoir, mon bien-aimé, il est plus de minuit et je m’endors. Je continuerai demain.

                                                                                                                                             Mardi 24 mai

Je continue à t’écrire cet après-midi pendant que tante Marie discute avec sa locataire pour la persuader de partir. Elle doit être expulsée par huissier le 2 juin, je crois.

marie broussard née Furet

Je n’ai pas encore répondu à ta mère, ça m’embête tellement… Enfin, je le ferai demain ou après-demain et j’irai passer deux ou trois jours à Chéray. Elle viendra me chercher ici, je ne peux pas faire autrement, mais dis-moi, pourquoi veut-elle connaître Maman ? Ce n’est pas par sympathie…

C’est la dernière fois que je viens à Royan ou en Charente[4] pendant ton absence. Si ma maison avait été installée, j’aurais bien préféré rester à Toulon. Le pays me plaît beaucoup, tandis que je n’ai jamais aimé celui-là , et puis j’ai la paix à Toulon. Il n’y a qu’un jour que je suis ici, et j’ai déjà la nausée de l’atmosphère familiale. C’est malheureux, mon séjour à Toulon m’avait fait du bien, j’étais moins nerveuse et je dormais très bien.

Je t’envoie un article trouvé sur « La petite Gironde ».

1938 05 23 La Petite Gironde

C’est curieux, il est certainement question du livre dont parlait Jacques Martinie[5]. Je vais l’envoyer aussi à Marie.

Jacques Martinie- Dubousquet  Marie Martinié- Dubousquet

 

Tu sais, je n’ai plus l’intention de déménager. L’appartement me plaît tout de même. Même, je commençais à m’habituer aux tapisseries ! Reviens vite, que l’on puisse l’installer ensemble et après, je l’aimerai tout à fait.

Sais-tu combien, finalement, coûtait mon A.R. Toulon-Royan ? 608 frs ! Le premier employé consulté m’avait donné les tarifs des 3ème classes, l’imbécile[6]… Je trouve que c’est payer un peu cher le droit de s’embêter pendant six semaines.

Il fait assez beau, mais plus froid qu’à Toulon (je m’aperçois que je t’ai déjà dit cela hier). Malgré cela, je me suis mise tout naturellement en tenue de plage, c'est-à-dire sans chapeau et sans gants, ce que je n’arriverais pas à faire là-bas. Je vais aller travailler sur la plage  à ma nappe à thé brodée qui n’avance pas beaucoup.

Royan Foncillon plage

Si tu trouvais la grosse étoffe orangée (comme l’échantillon que je t’envoie) en 1m80 de large, tu pourrais bien en prendre cinq ou six mètres, pour me faire un dessus de lit, un dessus de commode, un panneau au dessus de la commode et de la cheminée, un dessus de table et quelques autres petites choses… J’ai  un peu cherché à Toulon, mais je n’ai rien trouvé jusqu’à maintenant. J’ai déniché par exemple du très joli voile pour des tentures de fenêtres, malheureusement un peu cher (je t’envoie un tout petit morceau) mais je crois que je l’achèterai quand même, parce que ce sera épatant.

Je vais te quitter, il fait assez beau. Ecris-moi vite, raconte-moi tout ce que tu fais. Tu as peut-être déjà ma seconde lettre ? Sais-tu quand tu reviendras ? La seule chose qui me donne un peu de courage, c’est de travailler pour « notre » maison.



[1] Cadeaux reçus pour leur mariage, de la part de Fleuriot de Langle, camarade de Philippe  et Melle Gorge, infirmière de Lucien Proutaux.

[2] « Toulona (devenu Monoprix) et Priséco (devenu Prisunic) étaient déjà en quelque sorte les ancêtres des grandes surfaces car on y trouvait des marchandises extrêmement variées en même temps que les produits d'alimentation. Ils étaient bien situés en plein cœur de la ville. Voici ce qu'en dit Jacques Visconti : "Priséco et Toulona étaient des grands magasins populaires et constituaient à Toulon avec les Dames de France, les trois seuls grands magasins de la ville. Ils étaient "la grande distribution" classique avant l'avènement de celle que nous connaissons.....malheureusement à mon sens, depuis la fin des années 60, début 70." (in http://www.mes-annees-50.fr/Priseco_prisunic_toulona_monoprix_toulon.htm )

[3] Rue d'Alger : ouverte lors de l'agrandissement de la ville en 1589, elle fut d'abord appelée rue des Vieux Fossés sur lesquels elle avait été tracée. A la fin du 16ème siècle, les chaudronniers, entre autres, de la ville vinrent s'installer dans cette rue. Elle prit alors le nom de la rue des chaudronniers. Gênés par le tintamarre, en 1781, les habitants prièrent les artisans d'aller s'installer ailleurs. Les consuls de Toulon  le leur ordonnèrent.

L'ancienne appellation n'ayant plus de raison d'être, les habitants de la rue firent une pétition réclamant qu'on la débaptise. Elle prit ainsi le nom de rue d'Alger parce que "Toulon a été la dernière étape de l'armée qui a fait la conquête d'Alger et que la rue des chaudronniers a été l'une des voies par lesquelles l'armée expéditionnaire se rendit au point d'embarquement". (in http://moro.claude.free.fr/lrdmj/historiquerues.html )

[4] Sans le savoir, Denise dit vrai. La guerre va arriver, Denise se retrouvera à Casablanca et elle ne reverra la France que 16 années plus tard, en 1954.

[5] Quelques éléments d’information sur le couple Martinié-Dubousquet (parfois orthographié du Bousquet…) : Le nom semble provenir du Lot-et-Garonne. Monsieur joue au tennis et participe à des tournois en 1938. Jacques Martinié-Dubousquet est l’auteur de « La médecine sportive », publiée en 1938, de l’ouvrage « Une conception de l’éducation physique », de « Généalogie d’une famille à cicatrices chéloïdes », de « Hérédité et luxation congénitale de la hanche »  (1949), de « Talleyrand et d’illustres goutteux » (1974), ainsi qu’une étude remarquable sur la psychologie de Talleyrand liée à ses infirmités (thèse sur le PIED BOT de TALLEYRAND et ses conséquences,1976). En 1942, nommé médecin fédéral accrédité auprès du comité national des sports, il est impliqué dans la politique sportive du régime de Vichy, mais il entre dans la Résistance. Il se présente aux élections du 21 octobre 1945 de l’Assemblée Nationale Constituante, dans le département de la Dordogne sous l’étiquette M.R.P.,  mais il est battu. Jacques Martinie-Dubousquet, né en 1904, était auditeur  à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes dans les années 1975-76.

Quant à Marie Martinié-Dubousquet, j’ai retrouvé sa trace à plusieurs reprises :

-           en 1952, comme vice-présidente puis présidente à partir de 1955, de l’Union Féminine Civique et Sociale (UFCS)

-           Très impliquée dans le mouvement féministe, la responsable Marie Martinie-Dubousquet évoque en 1956 le problème du logement parmi beaucoup d’autres, pour élargir le débat sur la contraception.

-           en 1969, à la Fédération Internationale Abolitionniste, sur le thème « Opinion publique et prostitution ». Elle est domiciliée 119 rue Caulaincourt dans le 18ème arrondissement.

-            en 1974, en tant que membre de l'Union contre le trafic des êtres humains.

[6] Soit 437 frs.

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