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De si longues Fiançailles
10 septembre 2021

Lettre de Denise à Philippe, Royan, 31 mai 1938

Je ne comprends rien à ton silence et je suis lasse de toujours commencer mes lettres de la même façon. Voici huit jours que je n’ai rien reçu de toi. Tu ne seras jamais raisonnable et je suis complètement découragée. Si tu m’aimais autant que tu le dis, tu ferais un effort pour m’écrire un peu plus souvent. Ce n’est pas tellement difficile après tout.

Ici, toujours pareil. Je m’ennuie à mourir, je suis perpétuellement agacée et repliée sur moi-même, je travaille comme une brute à ma nappe à thé, mais ça ne m’empêche pas de penser, hélas ! Je me demande si j’aurai le courage et la patience de passer encore un mois comme cela. En tout cas, c’est la dernière fois que je m’en vais en ton absence dans la famille et à Royan. Je ne peux plus.

Chronique locale : Denise Lousteau est fiancée avec Connill[1].

chasseriaud philo math 1932-33 5- Bob Counil, 7- Jean (Pierre Henri) Seguin, , 11- Denise Loustau

Les Mignot[2] frères et sœur reviennent d’Algérie un de ces jours, André est nommé dans une compagnie de méharistes à In-Salah et est enchanté[3]. C’est lui qui a fait la demande.

L'oasis Rouge 1941

 

Méharistes In-Salah

Il y a un jeune ingénieur de l’usine (je ne sais pas laquelle) qui vient d’être plaqué par sa femme. Ça n’offrirait rien de drôle si l’auteur de « l’enlèvement », ou tout au moins du trouble dans le ménage, n’était Michel Drouin[4] en personne !  Du moins, il le paraît.

Il y a ici la petite Nane[5], toujours aussi jolie, mais elle est devenue prétentieuse et pimbêche. Et avec ça, avare ! ce sera une vraie Charentaise.

Simone a eu une crise de dysenterie. Il paraît qu’elle et Lucien ont maigri chacun de cinq kilos. Je crois que les derniers mois ont été durs pour eux.

Parahoué soirée de bombe

J’ai reçu une carte de Line Vautrin[6] qui me dit qu’elle va s’occuper de nous trouver un tapis pareil au sien, mais qu’elle n’est pas sûre de réussir parce qu’elle l’avait acheté en solde. Il est en jute.

Phil, je viens de m’arrêter pour réfléchir. Reviens, je t’en prie, autrement je sens que je deviendrai folle. C’est sérieux, tu sais. Je n’en peux plus. Je suis trop malheureuse. Je voudrais que nous vivions ensemble Je doute de tout, c’est seulement quand nous sommes ensemble que j’ai confiance dans la vie. Et même physiquement, je suis beaucoup moins bien. Cette nuit, ou la nuit dernière, je me suis réveillée, j’avais des palpitations. Mon cœur battait trop fort. C’est pénible, tu sais.

Et puis, je voudrais pouvoir m’occuper de notre maison. Ici, rien ne m’intéresse, tous les gens m’embêtent.

Quand reviendras-tu ? Tu le sais peut-être maintenant. Que fais-tu ? Pourquoi n’as-tu pas écrit quand tu étais à Sousse ? Moi, c’est au moins la cinquième lettre que je t’envoie. Est-ce que tu as assez d’argent ? Nelly[7] t’a-t-elle écrit ? Moi je n’ai rien reçu d’elle.

Je continuerai demain.

                                                                                           Mercredi 1er juin

J’ai reçu une lettre ce matin de ta mère qui viendra me chercher le 12. Ton grand-père viendra aussi, je me demande comment nous rentrerons dans la voiture, d’autant plus que j’aurai ma valise pour rapporter ton costume.

Ta mère n’a pu obtenir de congé, ça fait qu’elle ne sera pas à la maison dans la journée, ça vaut peut-être mieux.

Comme je lui avais écrit pour la décourager, que tu n’aurais peut-être qu’une semaine en septembre ; voilà qu’elle songe à prendre une partie de son congé en septembre. Mais il n’y a rien à faire, je ne retournerai pas en Charente dans deux mois, j’en ai assez. Et d’ailleurs, nous ne pouvons pas dépenser plus de 800 frs de voyage et en plus notre loyer. Et puis, toutes ces histoires m’assomment, j’an ai par-dessus la tête de ce pays, et tu ne m’écris même pas. J’en ai assez de tout.



[1] Connill est cité deux fois dans la correspondance : le 6 septembre 1932 et le 28 août 1934. En réalité il s’agit de Counil, Denise avait « anglicisé » le nom.

[2] Les membres de la famille Mignot apparaissent plus de vingt fois au cours des années 30. André est le plus souvent cité, et présenté dans la lettre du 8 décembre 1936, lors de sa réussite à l’ENS-Lyon.

[3] J’ai trouvé trace d’un rapport rédigé par le médecin-capitaine Mignot rédigé à In-Salah en janvier 1941.

[4] Michel Drouin (1912-2002), fils de pharmaciens de Royan, médecin-colonel, épouse en 1938 Colette  HARISPURU (1915-2009)  Cette Colette Harispuru avait épousé en premières noces  (en février 1936) Jean-Pierre FEYDEAU (1903-1970). Michel Drouin, appelé affectueusement Mic, était le grand copain de Philippe dans les virées maritimes. Michel Drouin est décédé à Breuillet en Charente Maritime, à l’âge de 90 ans. Quant au premier mari de Colette, Jean-Pierre Feydeau, Denise a été mal informée, ce n’est pas « un jeune ingénieur de l’usine », mais  un réalisateur et scénariste connu, fils du dramaturge Georges FEYDEAU (1862-1921). Georges Feydeau prétendait que sa propre mère lui aurait révélé qu’il était en fait le fils de Napoléon III.

[5] On a parlé de Nane le 11 et le 21 septembre 1936, sans déterminer son identité.

[6] On a vu à plusieurs reprises le nom de Line Vautrin en 1937, une amie parisienne de Denise qui a ouvert une boutique de bijoux et objets  décoratifs qu’elle réalise elle-même avec des matériaux composites, qui connaissent un grand succès.

[7] Voir Nelly Zaky, l’amie égyptienne de Denise. Philippe devrait essayer de la rencontrer à l’occasion de son escale en Egypte.

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