Lettre de Philippe à Denise, en mer, mercredi 21 septembre 1938,
Ma petite fille aimée,
En partant de Toulon, nous avons fait quelques exercices puis nous sommes retournés à Caldetas[1], où nous étions hier matin.
Nous y avons passé la nuit et ce matin, nous avons embarqué la garde de l’ambassade de Barcelone[2] : un enseigne et 6 hommes que nous ramenons à Port-Vendre. Nous sommes allés embarquer tout ce monde à Barcelone et depuis la dernière fois, il n’y a guère de changements : quelques bombes ont démoli un peu plus un bâtiment près du port et c’est tout. Nous passerons la nuit à Port-Vendre puis nous retournerons à Barcelone pour embarquer le consul de France à Madrid et nous l’emmènerons rejoindre son poste : on le débarquera au sud de Valence, à Candia[3], sauf contrordre.
Nous revenons à Toulon dimanche soir et nous en repartons lundi vers midi mais je serai de garde. Ce sera dur s’être si près de toi, et de ne pouvoir se voir, mais le soir où nous reviendrons, je serai certainement libre. Il est possible que j’envoie quelqu’un porter du linge à la maison. Il y aurait un blanc[4] à faire laver de suite pour qu’il soit prêt pour le 30 septembre, car la cérémonie de la prise de commandement se fera ce jour-là.
Je viens d’écrire à Tonton Maurice et avant de quitter Toulon, j’avais écrit à mes parents !
Je n’aime pas encore ma cabine parce que tu n’y es jamais venue. J’ai pourtant une photo de toi à la tête de mon lit et je m’endors, la tête tournée vers elle. Mon chéri, je pense à vous à chaque heure du jour et de la nuit – Je sais maintenant ce que c’est que d’aimer, je ne vis plus dès que je suis loin de toi pour une journée et il me faut rester des jours sans te voir.[5]
Lorsque je suis de quart, je pense à toi et t’imagine seule à la maison, alors mon cœur devient très lourd de toute la tristesse que j’ai.
P.S. Nous rentrerons à Toulon mardi matin 27 septembre.
[1] Caldes d’Estrac, également connu sous Caldetes (catalan) ou Caldetas (espagnol) est une municipalité située dans la contrée du Maresme, très proche de la ville de Barcelone.
[2] Pendant la guerre civile espagnole, le gouvernement français créa, auprès du gouvernement républicain espagnol, une ambassade de France à Barcelone, de juillet 1936 à la fin février 1939.
[3] Candia, appelée également Gandia est située à 70 km au sud de Valence.
[4] Tenue blanche de cérémonie
[5] Deux phrases qui résument ces huit années de correspondance et de lutte pour être enfin ensemble, passant du vouvoiement des premiers temps (de 1930 à 32) au tutoiement, plus intime.