Cartes postales de Philippe à ses parents, Ajaccio, vers le 15 mars 1939

  

Me voici à Ajaccio par suite de circonstances complexes –flotte espagnole en déroute[1] et mauvais temps- Ce matin, la T.S.F. m’a appris ma désignation sur le « Niger » pour le 20 avril (1939). Je ne savais pas encore que j’étais maintenu en activité mais cela me l’apprend. Inconvénients : le Niger est un pétrolier[2] qui fait des voyages variables et il est à peu près impossible de lui fixer un port d’attache ! Il faudrait que Denise soit à Paris et vienne me rejoindre dans les ports –comme au commerce- aussi, dès cet après-midi, je me suis mis en chasse et j’ai déjà trouvé un permutant de l’Albatros qui est de la même division que le Vautour –et j’espère que cela va marcher[3].

 

 Nous rentrons cette nuit à Toulon, mais, avec le temps qu’il fait, je ne sais si nous allons nous retrouver. Je souhaite, avec du retard, une bonne fête à Lucie et je vous embrasse affectueusement. Portez-vous bien.

 carte établie en 1939

---

[1] La guerre d’Espagne a entraîné le départ de plusieurs vagues de réfugiés vers la France, de 1936 jusqu’en 1939 où la chute de Barcelone, le 26 janvier 1939, provoque, en quinze jours, un exode sans précédent. Près d’un demi-million de personnes franchissent alors la frontière des Pyrénées, dans de terribles conditions. C’est la Retirada. Du 28 janvier au 13 février, ce sont 475 000 personnes qui passent la frontière française, en différents points du territoire : Cerbère, Le Perthus, Prats de Mollo, Bourg-Madame, etc. L’armée républicaine, dans son ensemble, se rend, à partir du 26 mars 1939. La  guerre d’Espagne  se termine officiellement le 1^er avril 1939 avec l’instauration de la dictature de Franco.

[2] La marine française fait l’acquisition de son premier pétrolier ravitailleur en 1911. Jusqu’en 1939, elle en utilise vingt-deux, dont Le Niger, essentiellement pour importer du pétrole de la mer Noire et du Moyen-Orient afin d’approvisionner les parcs à combustible des ports et bases de la marine en métropole et outre-mer. Le tonnage de ces navires est très divers et leur histoire assez mouvementée.

[3] Naturellement, cela ne marchera pas, et Philippe sera bien affecté sur le Niger, avec lequel il débutera la seconde guerre mondiale. Son bateau sera bombardé par les Allemands à Dunkerque et Philippe sera l’avant-dernier à quitter le Niger avant qu’il coule.