Lettre de Philippe à Denise, 22 novembre 1939
Carte adressée au grand-père de Philippe
Ma petite fille chérie, (je crois que j’en suis au n°6)
Je m’étonne de ne rien recevoir de toi –j’ai chaque semaine une lettre de ma mère et je vois Lucien recevoir des lettres de Simone. Je t’ai écrit par avion deux fois par semaine, ne pourrais-tu pas en faire autant ?
D’ici quelques jours, je pense toucher de l’argent que je t’enverrai en plus de ce que Brest doit t’envoyer (1.800 francs). Je pense qu’ainsi, ton existence matérielle sera assurée. Est-ce que Toulon a changé ? Rozé[1] doit y être en ce moment car j’ai ouï dire que mon ancien bateau avait eu des ennuis assez importants.
Que fais-tu ? J’imagine que tu vois les Benzé[2] et les Rozé, que tu lis un peu et que tu te promènes –enfin, des tas de choses que je voudrais pouvoir faire avec toi- La vie passe ici très lentement- Je ne peux pas me baigner et je ne pense pas pouvoir le faire avant deux ou trois mois[3] –alors, je fais des marches à pied et … du ping-pong !
J’ai espoir de changer de bateau[4] en arrivant en France, mais je ne sais pas quand ça sera.
Petite fille, ne sois pas découragée –écris-moi souvent- n’as-tu pas l’impression que cela nous rapproche ? Je pense à toi à chaque heure du jour et suis un peu triste de ne rien savoir de toi, et puis j’ai peur de repartir sans avoir eu d’autre lettre de toi et cela serait très dur.
...et pendant ce temps, à Paris, "la drôle de guerre"...
[1] Rozé : il s’agit très certainement d’un officier de marine que Philippe a connu sur le contre-torpilleur Vautour. Rien à voir avec Lucien Rosé.
[2] Ce nom de « Benzé » ne m’est pas inconnu, orthographié différemment (Bénezet) : j’étais en classe primaire avec un petit Michel Bénezet (années 1957 à 59), dont les parents étaient amis des miens. Le père était officier de marine. Soudainement, la famille disparut du paysage casablancais et un mystère plana autour de ce nom.
[3] Philippe souffre d’otites à répétitions et a un tympan crevé. A-t-il abusé de la plongée sous-marine au cours de ses croisières en Méditerranée ?
[4] Espoir qui sera déçu : Philippe restera sur le pétrolier Niger jusqu’à son naufrage à la sortie de Dunkerque en juin 40.