Lettre de Denise à Philippe, Paris, vendredi 28 avril 1933

Phil, excuse le papier que j’emploie, c’est le seul que j’aie trouvé ici. Je t’écris pour te dire que je n’ai pas oublié ta fête[1] et que tu vas recevoir une paire de sandales de Duncan et une blague à tabac.

       

Deux représentations de Philippe, l'un des 12 apôtres, fêté autrefois le 1er mai: par Le Greco (détail) et par Philippe de Champaigne

Pour les sandales, j’ai pris ce qu’il y avait de plus grand et qui m’a paru correspondre au 42. Si ça ne va pas, tu peux les renvoyer en donnant la mesure de ton pied, mais la blague m’a donné du mal, parce que je n’ai pas l’habitude d’acheter ces objets-là, tu comprends.

Il y en avait une ronde en daim qui ressemblait à la tienne, mais le marchand m’a assuré que le veau travaillé était beaucoup mieux et plus solide… alors, j’ai pris du veau travaillé. Seulement, elle est rectangulaire au lieu d’être ronde, j’espère que ça n’a pas d’importance.

  blague à tabac rectangulaire en cuir de veau

Ce sont les Duncan qui t’enverront le paquet : ils m’ont promis de le faire cet après-midi. C’est pour cela que je te préviens[2].

Tu es paresseux, tu sais. J’espérais trouver une lettre de toi en arrivant ici.

Le « vulgaire [3]» continue à ne pas apprécier à leur valeur nos essais de photographies artistiques.

       

Voici le "vulgaire" dans son mode de vie différent de Denise: Lucien et Julie à un diner d'anciens combattants

Ma mère a déclaré qu’elles étaient ratées, et mon père, après avoir examiné avec attention, une de celles prises à Vallières, m’a demandé quel était le crapaud qu’il apercevait vaguement : je regrette beaucoup, mais le crapaud, c’était toi.

Je vais demain au vernissage du Salon m’admirer en effigie. Ce matin, j’ai fait de la culture physique, mais je suis encore un peu abrutie par le voyage. J’étais triste de quitter Royan, tu sais, là-bas, il y a tant de choses qui me rappellent ton souvenir que je n’ai jamais l’impression d’être loin de toi.

Vas-tu me répondre maintenant, méchant garçon ?

signé Denise... 

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[1] A l’époque, la saint-Philippe, l’un des douze apôtres, se célébrait le 1^er mai, à présent, c’est la saint-Joseph. L’apôtre Philippe était de Bethsaïde, sur la rive nord du lac de Tibériade, comme Simon-Pierre et André.  Il est l’un des premiers à suivre Jésus et à faire des disciples

[2] En ce temps-là ; la Poste fonctionnait à merveille : un paquet, envoyé le vendredi après-midi de Paris, arrivait à destination, à Bordeaux, le samedi matin… !

[3] Le « vulgaire » : façon peu respectueuse que Denise choisit pour qualifier les goûts artistiques de ses parents, qu’elle juge très peu ouverts à la modernité.