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De si longues Fiançailles
5 juillet 2020

Lettre de Philippe à Denise, Royan, jeudi soir, 7 décembre 1933

Ne trouves-tu pas que je deviens bien paresseux ? Je pense que si, mais il t’arrive parfois de l’être aussi. Donc tu me pardonneras facilement. Comme tu n’es pas là, je t’imagine, je cause avec toi par la pensée, mais lorsqu’il faut te raconter tous ces rêves éveillés, je n’en ai plus le courage et puis je pense aussi que ça ne se raconte pas.

J’ai quand même un peu honte de ma paresse parce que tu avoues dans ta dernière lettre que tu n’as plus « le goût à rien ». Il ne faut pas, Denise, d’abord parce que les papillons noirs[1] me sont réservés et que je veux bien que tu sois triste de me quitter pour cinq mois, pendant une heure, mais pas plus. Et puis surtout, je veux que tu penses à l’avenir puisque le présent n’est pas bien réjouissant. Il ne faut pas être trop injuste envers la vie. Nous avons eu jusqu’à maintenant quelques heures où nous avons tout oublié. Pourquoi n’en aurions-nous  pas d’autres, plus longues ?

J’ai encore plus honte : nous sommes samedi soir et ma lettre n’est pas terminée ! Depuis une semaine, j’ai fait des tas de choses : j’ai vu Don Quichotte, c’est un bon film. Pabst a pris l’idée de Cervantes et l’a traitée à sa manière. Mais surtout, j’ai lu. Ma mère ayant commencé à acheter « Les Hommes de bonne volonté » de Jules Romains, je me suis mis à les lire –il n’y a encore que 6 volumes de parus, mais il doit y en avoir encore autant à paraître ! C’est intéressant, mais il faut un certain culot à l’auteur pour entreprendre cela : les deux premiers tomes servent à présenter aux lecteurs les principaux personnages –qui n’ont aucun lien entre eux- et cela fait une dizaine d’intrigues dont le développement de chacune demanderait bien un bouquin !

1933 12 07 collection complète des Hommes de bonne volonté  La collection complète des Hommes de bonne volonté, héritée de ma grand-mère Lucie. 

Puis j’ai lu « Byron » d’André Maurois. Je ne connaissais pas très bien l’auteur, n’ayant lu que peu de choses de lui. Le bouquin de Maurois est très instructif, car il montre un Byron, héritier de deux lignées d’hommes d’action, lui-même homme d’action … par la pensée, car n’ayant de génie que parce qu’il est un dégénéré… tout au moins, c’est ce que j’y ai vu.

1933 12 07 Byron tomes 1 & 2  Les deux tomes de Byron, dans une édition illustrée (coll. personnelle)

Je n’ai pas lu « La Condition humaine[2] », si tu le lis, dis-moi ce que tu en penses.

Il fait assez froid ici et hier, il a neigé toute la journée, mais comme la mer n’est pas gelée, je n’ai pas encore commencé à patiner !

J’aimerais pourtant bien te voir avant Pâques, mais peut-être qu’il vaut mieux ne pas provoquer Mme Lopinion Publique. Et puis, si tu pouvais venir un peu à Bordeaux, ce serait mieux.



[1] Les papillons noirs : c’est l’expression que Philippe emploie pour dire qu’il a le cafard.

[2] Le roman d’André Malraux, La Condition humaine est paru le 28 avril 1933. C’est chronologiquement son troisième ouvrage.

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