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De si longues Fiançailles
29 septembre 2020

Lettre de Philippe à Denise, Cristobal, 15 mai 1935

Je n’oublie pas que c’est aujourd’hui ta fête et bien que ma pensée ne te parviendra que dans quelque temps, je m’en voudrais de ne pas t’envoyer mes vœux. Je suis arrivé ce matin à Cristobal après un voyage calme. Nous avons touché Pointe-à-Pitre -12h- le temps d’aller à terre « aux papiers[1] » » et de me rendre compte de ce que peuvent faire les noirs lorsqu’ils sont abandonnés à eux-mêmes –bien que l’île soit plus jolie que St Thomas, elle est minable et pas du tout entretenue[2]. (St Thomas appartient aux U.S. qui l’ont acheté au Danemark ainsi que je te l’avais dit –et non à l’Angleterre).

 Pointe à Pitre cyclone de 1928     inondation à Pointe à Pitre

Le cyclone de 1928 qui a ravagé la Guadeloupe a laissé des traces encore visibles en 1935

 Nous avons ensuite passé 3 jours ½ à La Guayra[3] qui est une petite ville épatante, mi-partie allongée au bord de la mer, mi-partie accrochée aux flancs de montagnes (1.500 mètres de haut !) couvertes de cactus et de palmiers. La ville de style espagnol semble presque un décor avec ses maisons peintes de couleurs vives –ocre, rose, bleu- et aux fenêtres grillagées. Le soir –tout comme à Royan- les gens se promènent sur un boulevard en bordure de la mer[4] qui n’est pas mal… J’aurais aimé être avec toi ces soirs-là.

 Port de La Guayra     Rues étroites de La Guayra

 Vues de La Guayra

 J’ai lu un peu au cours de ce voyage : une étude historique sur Venise, intéressante, et surtout, « La Renaissance » de Funck Brentano[5] –ce dernier bouquin est réellement bien.

  Frantz Funck-Brentano       La Renaissance de Frantz Funck-Brentano édition de 1935

Frantz Funck-Brentano et son ouvrage "La Renaissance" (édition de 1935)

A part cela, la vie s’écoule très calme. Je me suis lancé dans la météorologie et cela me prend au moins 1h par jour !

Que comptes-tu faire cet été ? Je serai en France dans les premiers jours d’août mais je ne sais pas si nous ferons comme la fois dernière et si nous ferons des ports voisins de Royan. D’autre part, il est probable que, cette fois, le navire aura droit à des réparations –me laisseront-ils à bord pendant celles-ci ? Je n’en sais rien. En tous cas, dès que je serai fixé sur ce que je peux faire, je te l’écrirai.

Maintenant, il faut que je te gronde… Tu n’as pas honte de ne rien faire du tout ? Tu sais pourtant qu’il est très mauvais de rester oisif et si tu n’as pas le courage de faire œuvre utile, lis, dessine pour ton plaisir, fais de la musique. Une chose que j’aimerais te voir faire –ne souris pas- c’est aider ta mère à s’occuper de la maison. Je ne te demande pas de cirer les parquets mais tout au moins, de t’occuper de la façon dont on tient un ménage –et en même temps, cela te distraira !

Et à présent que je t’ai fait la morale, je voudrais pouvoir te donner confiance en toutes choses, pour t’empêcher de voir des papillons noirs[6] et pour te faire sourire.



[1] Déclarer l’arrivée du bateau, le contenu de la cargaison, bref, se mettre en règle vis-à-vis des autorités du port.

[2] Vingt-quatre heures à Pointe à Pitre, le jugement de Philippe semble un peu hâtif. Il néglige l’aspect environnemental et colonial et reste à la superficie des choses. Le cyclone de 1928 avait ravagé l’île et laissait encore des séquelles en 1935. Voir l’ouvrage de Cécilia Claeys « Inégalités environnementales en Guadeloupe, Héritages coloniaux et discriminations contemporaines ».

[3] La Guaira (orthographiée autrefois La Guayra) est la capitale de l'État de La Guaira au Venezuela. Elle est située au nord du Venezuela, en face de la mer des Caraïbes au nord-ouest de Caracas. C’est le second port du pays.

[4] Philippe pense à la promenade favorite des Royannais sur le boulevard Botton.

[5] Frantz Funck-Brentano (1862-1947) est un archiviste, conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal, historien et dramaturge français. Son ouvrage est une réflexion critique sur la Renaissance, «  immense réaction contre la vie sociale, politique, intellectuelle et artistique du Moyen Age ».

[6] C’est ainsi que Philippe qualifie le cafard.

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